STALAG IIB   HAMMERSTEIN,   CZARNE en POLOGNE

CAMP de PRISONNIERS de GUERRE 1939-1945 en POMERANIE


Louis CHARDES


matricule 78602




Infos transmises par sa fille
Maryanne



Chardès Alphess Louis

Né le 25 décembre 1915 aux Salces commune des Balmelles (Lozère)

Décédé le 11 juillet 1986 à Marvejols (Lozère)

Service militaire : 20 octobre 1936 - 14 octobre 1938

Rappel : 24 mars 1939- 21 novembre 1939

Matricule : 35-481-00450

Guerre : 28 novembre 1939-19 juin 1940

Captivité 19 juin 1940 – 20 août 1945

KG : 78602 Stalag II B Hammerstein



1934

Les nouvelles en provenance de l’Allemagne commencent à inquiéter depuis qu’un certain Hitler a pris les rênes du pouvoir en devenant Chancelier puis Führer. Mais tout comme la majorité des Français, les frères Chardès sont loin de s’imaginer qu’ils seront tous les cinq prisonniers, comme un million huit cent quarante cinq mille soldats.

Pour l’instant Papa travaille comme professeur dans une école Saint Nicolas à Igny. Dans sa chambre, il consulte la presse de tout bord avant d’aller prendre son travail. Il aime se tenir au courant de la politique, sujet qui le passionne. Ses jours de congés il aime aller à Paris, comme lors de la Victoire du Front Populaire en 1936 ou de sa visite de l’Exposition Universelle en 1937, appelée aussi Exposition Internationale des Arts et des Techniques Appliqués à la Vie Moderne. Ses yeux pétillaient quand il nous racontait la politique de son époque, les ministères de la 3ème République qui valsaient, les ministres qui changeaient de portefeuilles, le recordman étant à ses yeux Edgard Faure, les défilés des Camelots du Roi ou des Croix-de-Feu, les affaires qui mettent à mal les gouvernements comme celle de Stavisky.

Il suivra aussi les débuts de la Guerre d’Espagne, sans savoir qu’il serait un jour concerné.


Parti le 20 octobre 1936, il ne rentrera dans ses foyers que le 23 août 1945. On ne peut pas s’imaginer de passer dix années sous les drapeaux, dix années de belle jeunesse, de ces années où l’on est dans la force de l’âge. Dont cinq années, du 19 juin 1940 au 20 août 1945, privé de sa liberté. Cette période a laissé des traces.


Son service militaire

Alphess Louis Chardès a effectué son service militaire du 20 octobre 1936 au 14 octobre 1938, à la 6ème compagnie de Voltigeurs, au 38ème Régiment d’Infanterie de Saint- Etienne, sous le prénom d’Alphonse.

De Saint-Etienne, il aimait beaucoup en parler. Des Etablissements Casino, de Manufrance et des cycles, lui qui aimait le vélo ; il était incollable sur le Tour de France, il connaissait toutes les petites anecdotes et avait ses champions préférés, qu’ils s’appellent en ce temps-là Magne, Bartali, Lapébie et autre Leducq. En souvenir de la manufacture de cycles j’aurai mon premier vélo, une Hirondelle. Il nous quittera un 11 juillet, pendant le tour 1986, en discutant de l’étape avec Georgette Vieilledent. Il fondait cette année-là ses espoirs sur Bernard Hinault.

Il nous parlait de ces petits bistrots où il aimait aller boire un beaujolais, qui à l’époque n’avait pas la notoriété qu’on lui connaît aujourd’hui.

Cette marche c’était un peu sa fierté… avoir réussi cette performance sportive. Les marcheurs pourront porter une fourragère pour les distinguer. A noter qu’ils étaient équipés en tenue, casque lourd mais aussi leur arme et le sac à dos.

 

Le temps du Rappel


Conséquence de la Guerre d’Espagne, après la chute de Barcelone cinq cent mille Républicains Espagnols traversent la frontière et entrent dans une France que Daladier a décidé d’ouvrir en janvier 1939.

Des camps sont ouverts pour les regrouper mais les conditions d’accueil sont déplorables, inhumaines. Mal logés, mal nourris, subissant le froid, la faim, les maladies et parfois même la violence des gardiens, les réfugiés sont regroupés dans des camps d’Internement que la France appelle Camps de Concentration.

Et mon Papa qui vit ce quotidien, qui lit la Presse sait bien ce que pensent les gens, et il ne veut pas cautionner toutes ces dérives. Une expérience qu’il n’aimait pas évoquer mais lorsqu’on est soldat, il faut obéir aux ordres. Peut-être a-t-il eu des contacts avec « los compañeros de la baraqua numero tres » comme il aimait le dire. Avec ce qu’il va vivre plus tard, cela lui rappellera des similitudes et il estimera que son pays ne s’était pas conduit forcément bien.


Convoqué le 20 mars 1939 en application du décret loi du 20 mars 1939.
Arrive au corps le 24 mars 1939.
Dirigé par voie ferrée sur Barcarès (Pyrénées Orientales) le 30 mars 1939, arrive le 1er avril 1939.
Dirigé sur le camp d’Agde (Hérault) le 27 mai 1939 par camion.
Dirigé sur Err (Pyrénées Orientales) via Font-Romeu le 27 juin 1939 par voie ferrée et camion.
Fait mouvement sur Nice le 27 juillet 1939 par camion et voie ferrée.
Fait mouvement sur le col de la Moulines (Alpes Maritimes) via Beuil le 29 septembre par camion.
Fait mouvement sur le Mounard (Alpes Maritimes) le 10 août 1939 par voie de terre.
En subsistance au 18ème Bataillon de Chasseurs Alpins. Détachement français d’encadrement des camps de travailleurs espagnols du Mounard (Alpes Maritimes)
Dirigé sur Nice le 17 septembre par camion.
Dirigé sur Vergons (Basse-Alpes) le 3 novembre 1939 par camion.
Dirigé sur Nice (Alpes Maritimes le 29 novembre 1939 par camion.
Fait mouvement sur Marseille le 21 novembre 1939 par voie ferrée.
Dirigé sur Altkirch (Haut-Rhin) par voie ferrée. Arrivé le 30 novembre 1939. Dirigé sur Carspach (Haut-Rhin) le même jour par voie de terre.

Heureusement, en avril 1940, il se fiance avec Marie. Ils s’étaient connus dans la micheline Lyon-Toulouse, en 1938.
Elle avait pris le train à Chanac pour se rendre à Lyon, où elle travaillait comme aide-infirmière à l’Hôpital Saint-Joseph. Lui, parti de Villefort, s’en revenait de permission et retournait à Saint –Etienne.
Pour rester auprès d’elle plus longtemps, il a poursuivi son voyage sur Lyon, de façon pas très légale.


Sa drôle de guerre


A Carspach, le voilà en zone de combat.
Dirigé sur Kembs (Haut-Rhin) le 16 décembre 1939.
Arrivé le 17 décembre par voie de terre.
Dirigé sur la Chaussée Saint louis (Haut-Rhin) le 1er février 1940 par voie de terre.
Dirigé sur l’usine de Kembs le 17 mars 1940.
Fait mouvement sur Altkirch (Haut-Rhin), Dannemarie, Reppe (Territoire de Belfort) les 17, 18 et 19 juin 1940 par voie de terre.

Ce qu’il racontait c’est qu’ils étaient en position de francs-tireurs, en avant de la ligne Maginot, à protéger l’usine hydro électrique de Kembs. L’un d’entre eux à réussi à s’enfuir en Suisse en " volant " le cheval du Capitaine. D’autres mourront dans les brefs combats, comme le Sergent Dolle.

Si comme je le pense, Papa a fait le même parcours que M. Massacrier, il a dû lui aussi rejoindre Mullheim.
Papa était tout proche, à Reppe, dans le Territoire de Belfort, près de Fontaine.
Lui aussi rencontrera une Alsacienne qui lui donnera un pain et se proposera de lui écrire, sorte de marraine de guerre.
Il n’a malheureusement eu plus aucune nouvelle et l’a regrettée car il aurait aimé la revoir après la guerre pour pouvoir la remercier.


Prisonnier le 19 juin 1940


De là, ils seront conduits vers les usines Schlumberger, grossir le nombre des prisonniers.

Ce sera le départ en train, dans des wagons fermés,vers le Stalag II B.

Il a travaillé dans des camps, dans une ferme et comme forestier.

Voici ses toutes premières photos datées de 1941.





Le 30 juin 1941 à Rettkewitz (Redkowice)




PUGGERKOW ou PUGGERSCHOW  (Pogorszewo)

  



 

Puggerchow est mentionné dans l’album photo comme étant son premier kommando


  



UHLINGEN 1942 (Ulinia)




   




1943

Le jour du mariage le 22 juillet 1943, c’est Elie, un frère de Papa qui le remplacera pour dire « oui »


UHLINGEN avril 1944


      








Sans doute ces documents ont-ils permis à Maman de lui envoyer des colis, et peut-être de percevoir des tickets de ravitaillement pour lui.
Maman s’est mariée en gris. Et pour aller rejoindre Papa dans la mort, en 2017, elle avait choisi d’être en blanc. Elle avait préparé « son viatique » comme elle disait : une jupe blanche, un gilet blanc, les bijoux qu’elle voulait porter, sa bague de fiançailles entre autres, jusqu’au rouge à lèvres.


Et maintenant le récit des journées de sa libération de Martinshagen jusqu’à Chanac (Lozère) en passant par Polnow, Bromberg et Odessa.


Libération mars 1945


J'ai découvert un document dactylographié de quatre pages, émouvant pour moi, car écrit par mon papa, votre grand-père ou votre arrière grand-père... C'est la transcription d'un brouillon, non corrigé, conservé depuis sa captivité et sa libération par l'armée soviétique le 2 mars 1945.
Je vous le livre ici.


Mes derniers jours de captivité et ma libération par les Russes le 2 mars 1945

28 février 1945
cliquer sur le lien ci-dessous pour voir

la CARTE des VILLES citées dans le texte

" Tout le kommando de Martinshagen (Grabowo) est en gare d’Altviek.(Alt Wieck-Wiekowo)
Nous nous trouvons une centaine de travailleurs : Polonais, Ukrainiens, Ukrainiennes, Russes, aux habits loqueteux. Tout ce monde est aux ordres de contremaîtres allemands à la parole hargneuse et méchante. Deux ingénieurs sont là, chapeau mou et pardessus au col relevé, mains dans les poches. Ils donnent des ordres. Des insultes pleuvent sur les malheureux travailleurs qui se tournent vers leurs maîtres, souriant à toutes ces invectives méchantes.
L’armée rouge se trouve à 25 kilomètres des lignes de défenses poméraniennes, construites en hâte, le Volksturm, les déportés et prisonniers de tous pays. Cette ligne de défense passe à Altviek, Martinshagen où se trouve notre kommando, Nemitz (Niemica) à deux kilomètres de Martinshagen. Que faisons–nous alors que les armées russes avancent victorieusement sur tous les fronts ?
Nous élargissons la gare d’Altviek, en plaçant à toute hâte de nouvelles voies.
En gare, un train de blessés, provenant de Prusse Orientale.
Surgit un jeune soldat en feldgrau. Il parle français ; il s’approche de nous : stupeur ! C’est un français ! Notre cœur se serre ; il a 16 ans, il a quitté sa famille à Lille, pour s’engager dans la Légion des Volontaires Français, contre le bolchevisme.
Il vient du combat, et maintenant il se sauve avec ses maîtres, devant la poussée des Russes.
Il nous offre des cigarettes ; nous n’en voulons pas. Nous lui crions notre honte, notre haine ; il reste dans son wagon.
Le courage ne nous tue pas et un à un, nous nous éclipsons et nous rentrons au kommando.
Les Allemands ont d’autres pensées, ils ne songent plus à nous.
Les Polonais, les Ukrainiens, comme nous, quittent le chantier. Les contremaîtres jurent, mais ils n’ont plus la hargne dominatrice d’il y a quelques mois.
A mon tour, je quitte le chantier et je pars seul sur la route de Martinshagen, route où, sans interruption circulent des chars recouverts de bâches, tirés par deux chevaux, emplis de réfugiés prussiens.
Des prisonniers français sont avec leur patron, et, la plupart sont « chef de famille », les patrons mobilisés étant au combat. Ils vont vers l’Ouest, mais passeront-ils ? Car les armées russes tentent d’encercler la Poméranie, en approchant de Stargard et de Stettin. "
" Voici des avions dont le ronronnement ne m’est pas familier ; ce sont des avions de combat russes. Ils nous survolent très bas, en mitraillant la colonne de réfugiés et de soldats en retraite.
Je me réfugie dans le fossé. Je me relève après leur passage et regagne mon kommando. Des maisons d’Altviek flambent, comme d’autres flambent dans les villages des alentours. Où sont les soldats allemands ? Il y en a quelques uns de mélangés aux réfugiés. Qui résistera sur la ligne de défense ? Personne.


On n’en voit nulle part de ces valeureux allemands ; si avec les réfugiés, pâles, défaits, la lèvre pendante, tirant une carriole où est posé leur sac. Ils n’ont plus d’armes. D’où viennent- ils ? Plusieurs camions, remplis de matériel hétéroclite, doublent la colonne bien disparate, qui avance lentement. Un prisonnier anglais me salue. Il a le sourire. Il ouvre une boite métallique, plate, où dans un tas de mégots nage une cigarette anglaise. Il me l’offre gentiment et continue son voyage, le cœur léger, il sent la victoire proche.


Je rentre au kommando. Ce ne sont que discussions, sur notre prochaine délivrance. Des nazis S.A. viennent pour nous dire de les suivre, car les Russes sont près du village, à quelques kilomètres. Ils fuient, les pleutres, en emportant tout, principalement les vivres des travailleurs ukrainiens, polonais qui, un à un, quittent le village, rejoignant à travers bois et champs, les libérateurs.
Un jeune russe, instituteur, vient au kommando. Il est joyeux et nous parle déjà de vengeance, de représailles. Il nous raconte que les Allemands les prennent pour des chiens, des bêtes, des sauvages, qu’ils veulent les exterminer.


Les civils allemands du village vivent dans la terreur. Ils ont peur des Russes et ils ne se rendent pas compte de ce qu’il va leur arriver. Les Russes sont à Nemitz, à 2 kilomètres, et le soir, arrive un rescapé du village ; il s’est enfui à travers champ et la forêt. Il raconte ce que les Russes ont fait au village. Ils ont occupé toutes les maisons en les chassant, en pillant, en brisant tout.
Ils ont rassemblé hommes, femmes et enfants, fait un tri des valides et des invalides. Les jeunes filles, garçons et hommes reconnus valides ont été mis et colonne et, sans adieux, dirigés vers l’arrière du front, à pied. On entend le canon, des mitraillettes, des coups de feu isolés. 9 soldats allemands ont été vus dans la campagne.
La scierie, à mi chemin de Nemitz est en flamme. Les habitants ont fui. Sur la ligne de défense, pas âme qui vive. Le village est apeuré. Les S.A. sont partis se faire pendre ailleurs.
Les Russes investissent Koeslin. Le train d’Allemands en déroute est toujours en gare d’Altviek. Il ne passera pas.
Et nous songions à « Chapeau Mou », l’ingénieur qui prenait un autre train, lui aussi immobilisé. Tout l’hiver, il nous en faisait baver sur les chantiers. Lui aussi abandonne ses ouvriers.
Notre contremaître qui ces derniers jours chantait l’ "Internationale " avec les travailleurs étrangers, est parti lui aussi. Je le vois, petit, tête carrée, les mains dans sa canadienne râpée, le visage aux chairs pendantes, avec de petits yeux d’acier, jurer, rouspéter contre le régime qui, à son avis, il n’avait jamais pu supporter, ses " Heil Hitler ! " étaient forcés, mais on y sentait l’ironie. Il ne nous pressait pas au travail et nous aidait à allumer de grands feux auprès desquels nous passions de longues heures.
Quand l’ingénieur arrivait on s’égayait tous, pour y revenir dès qu’il était parti. Le contremaître nous voyait quand on cassait les outils volontairement, ou qu’on les enterrait. Il en souriait même. Avec lui, au moins, on pouvait saboter sans trop de mal et nos conversations il les soutenait. Dans le fond, il était Allemand, Poméranien, et je me souviens d’avoir vu luire des larmes dans ses yeux en pensant au désastre de son pays. Etant donné l’avance russe, la débandade des armées hitlériennes, l’angoisse de la population civile, qui ne savait plus où mettre la croix gammée, nous décidions le soir même de rester au kommando et d’attendre nos libérateurs."

1er mars 1945

"Personne n’est venu nous appeler pour aller au travail. Nous avons fait la grasse matinée. A midi, nous avons mangé le peu de victuailles que nous avions. Dans la cour de la ferme, un char de réfugiés prussiens.
Avec eux un prisonnier français qui nous raconte ses pérégrinations sur les routes. C’est lui le postillon et le valet. Il n’a pas pu se résigner à quitter ses patrons. Dans l’après-midi, deux d’entre nous vont se promener avec des Ukrainiens du côté de Nemitz, essayant de voir les Russes. Quelques heures après, ils reviennent et nous racontent leur promenade. A la sortie d’un bois, ils sont vus par une patrouille soviétique qui immédiatement décoche des rafales de mitraillettes. Aussitôt, ils lèvent les bras et s’approchent de la patrouille qui les amène au village occupé par des blindés. Les Ukrainiens discutent avec les soldats. Les Russes amènent tout le monde dans une maison où on les fait manger, boire, fumer. Nos deux camarades annoncent qu’à Martinshagen, il y a d’autres français, et demandent à venir nous chercher afin que nous passions dans leurs lignes. Les Russes les laissent revenir et aussitôt on fait nos paquets et nous nous dirigeons en groupe vers Nemitz. "


2 mars 1945


" Ce n’est que le lendemain du 1er mars que nous quittons Martinshagen pour rejoindre les lignes russes, sentant que la population du village nous laisse entièrement libres ; les gens sont amorphes, inquiets sur leur sort, ne sachant que faire, rester ou partir.
En route vers Nemitz, cet après-midi du 2 mars, nous croisons dans le village même, des civils dont le maire. Ils n’ont plus leur superbe et nous regardent passer de leurs yeux ternes et absents.
Nous sommes gais, avec un léger sourire en pensant à notre avenir.
Nous sommes là, 25 Français et quelques Ukrainiens, dont l’un âgé de 25 à 30 ans est accompagné de son épouse ukrainienne, elle aussi. L’un de nous arbore sur son sac un drapeau français.
Nous avançons péniblement sous le poids de nos sacs, caisses ou valises, trimballant nos maigres richesses en victuailles et vêtements. Le jour tombe rapidement et il fait à peine clair quand nous débouchons, au sortir d’un bois, sur la grand’route qui conduit de Nemitz à Zanow et Roesling, villes importantes du kreis.
Nous sommes accueillis par des rafales de mitraillettes qui nous mettent dans la réalité de la guerre. Heureusement qu’on ne tire pas sur nous, mais dans la nature, probablement pour nos mettre en garde et nous tenir en respect. Quelques uns d’entre nous lèvent les bras et nous voyons surgir trois soldats russes, mitraillette au poing, revêtus de leurs vestes fourrés et coiffés de leur bonnet à poils où brille, rouge, l’étoile soviétique.
Nous approchons du village, les Ukrainiens parlementent pour nous avec d’autres Russes, parmi lesquels il doit y avoir un chef. Je remarque chez eux une certaine sympathie. Nous traversons tout Nemitz, sans rencontrer un seul indigène, pour nous diriger vers l’arrière du front, précédés des Ukrainiens qui nous servent d’interprètes. La nuit tombant, nos fardeaux nous pèsent. Les épaules commencent à être meurtries, la route est longue. Dans un pré voisin, 3 chars ronronnent, camouflés derrière un petit bois. La nuit enveloppe maintenant de son sombre manteau toute la nature. A peine distingue-t-on la route. Nous arrivons à la lisière du bois, abritant les mastodontes ronflants. Quelques coups de fusil nous montrent que nous ne sommes pas seuls.
Notre petit groupe est arrêté. Les soldats qui viennent d’interrompre notre marche et nos pensées sur nos premiers instants de libération, hurlent, et nous nous demandons anxieusement ce qu’ils vont faire de nous. Ils commencent par emmener dans les bois l’Ukrainienne, devant son mari éberlué. Les soldats, sans doute en sentinelle, continuent leurs vociférations et d’autres coups de fusil et mitraillette retentissent. Ils tirent par terre, secouent les premiers de notre groupe et nous nous demandons avec stupeur s’ils ne vont pas nous mitrailler. Enfin, ils nous laissent continuer. Je vois encore, malgré la maigre clarté de la nuit, leurs mines patibulaires et leur air insatisfait de n’avoir pas fait de nous des cadavres.
Nous traversons le bois sans encombre et nous approchons d’un village où nous songeons à nous reposer. Dans les ténèbres nous nous dirigeons vers une grange. Tant bien que mal nous nous installons dans la paille. La nuit est fraîche et je mets longtemps à me réchauffer. "


3 mars 1945

"Il fait jour quand nous sortons de la grange, installée au-dessus de l’étable. On prend sur nos réserves pour casser la croûte, puis nous descendons par une échelle donnant sur l’extérieur.
Que voyons- nous ? Un vieil Allemand qui vient de l’étable soigner ses bêtes. Il est complètement amorphe et ose à peine nous parler. Nous ne palabrons pas et sac au dos nous poursuivons notre marche vers l’est ; marche pénible, car nous sommes trop chargés.
Nous faisons de temps en temps de bonnes pauses. Nous voici dans un autre village occupé par les Russes. Ils nous laissent passer sans difficulté. Près d’une ferme, je vois une carriole que je réquisitionne aussitôt. Mon sac, ma caisse et la charge de deux de mes camarades, y vienne dessus. Allégé, je peux plus facilement " bouffer " les kilomètres.
Nous traversons plusieurs villages, fraîchement occupés, d’autres où nous ne trouvons personne, ni Russes ni Allemands. Midi approche et nous voici dans un village aussi mort que les autres.
Nous pénétrons dans les fermes plus ou moins saccagées. Dans l’une, il y a encore du pain sur la table, avec des œufs. Sur une étagère, des bocaux de confiture. J’en prends un sous le bras, un autre sur la carriole.
Dans une autre ferme, je vois un parquet défoncé et des caisses pleines de bocaux contenant viande d’oie, pâté, volaille, confiture. Les Russes ont festoyé dans la cuisine. Il y a encore des relents de leur ripaille sur la table, sur le fourneau de brique, sur les étagères.
C’est un désordre indescriptible. Je ne m’arrête pas car il faut que nous restions groupés.
J’emporte la moitié d’une miche de pain et je repars avec mes deux bocaux qui très grands, sont plutôt gênants. A la sortie du village, nous nous retrouvons tous et sur le bord de la route nous nous installons pour manger ce que nous avons trouvé dans les maisons abandonnées Je distribue, à pleines cuillérées, la confiture de mes bocaux. Le patron d’une grosse ferme dont on entrevoit la façade entre les arbres, s’approche de nous et vante les Français. Il en avait 7 à son service. Bien sûr, il n’y a pas de comparaison avec les Russes.
Nous voyons apparaître une jeune fille, les yeux rouges de larmes. Son père l’envoie chercher du lait. Elle revient peu après avec un seau plein de lait. Elle distribue le lait à plein quarts. Nous ne lui demandons pas le motif de ses larmes, nous comprenons vite ce qui l’a rendue ainsi…
Nous reprenons notre chemin pour aboutir sur une route plus importante. Nous avons à peine fait 200 mètres sur cette route que nous apercevons dans le fossé le premier cadavre russe.
Il est sale, gonflé, la lèvre saignante, les bras en croix. Cette vision nous dit qu’on s’est battu par ici. Un peu plus loin, deux autres Russes, au milieu de la route, mitraillette sous le bras, nous arrêtent en nous menaçant. On entend de temps en temps crépiter des mitraillettes, nous sommes encore sur le front.
Ces deux Russes, des blancs, aux mines rébarbatives, sales, crasseux même, chaussés de bottes allemandes, hurlent. Nous ne les comprenons pas. Ils tirent quelques rafales et nous menacent.
Ils nous font comprendre qu’ils veulent nos montres et je suis un des premiers fouillés.
Le soudard me met le canon de sa mitraillette sur la poitrine et la fait aller de droite à gauche en lâchant de courtes rafales de chaque côté de ma poitrine. Je lui sors un réveil de la poche de ma capote. Il n’en veut pas.
Je lui dis « pleni fransouski ». Il ouvre de grands yeux, et passe à un autre. J’ai eu chaud.
Tout le groupe passe à la fouille et ils ramassent ainsi une dizaine de montres.
Un officier à cheval, passe s’en s’arrêter, et sans s’occuper de ce qu’on nous fait.
Enfin nous pouvons poursuivre notre équipée.
Nous arrivons sur un vaste plateau. De chaque côté de la route nous voyons des chars, des pièces d’artillerie en position de tir. Partout l’armée rouge s’affaire. Un peu plus loin, voici deux soldats qui se battent et se roulent dans la boue. Nous allons de l’avant plus rapidement, car le contact de ces soldats nous fait peur et pour cause !
Nous en croisons sur la route qui passent en camion, ainsi que des chars couverts d’hommes et de femmes. Nous apercevons une grosse ferme et nous nous y dirigeons hâtivement.
Près du bâtiment, nous voyons quelques russes en train de creuser des tombes.
Dans la cour ronde, on distingue la trace de combats : empreintes de roues, taches de sang, bouleversement d’instruments agricoles. On nous redemande nos montres.
Nous demandons à boire et on nous fait entrer dans la cuisine où une femme soldat, jupe kaki, bourgeron kaki avec décoration, béret noir avec l’étoile soviétique nous donne à boire de l’eau.

Un officier est près d’elle, la poitrine constellée de décorations. Lui aussi nous demande nos montres sans nous menacer. Nous ne comprenons pas ; là c’est trop dangereux, il y a trop de troupes.
Nous revenons sur la route, où nous croisons des convois de camions chargés de troupes, ravitaillement, munitions ? Nous marchons péniblement. Nous rencontrons une remorque chargée de français, traînée par deux beaux chevaux. Ils n’iront pas loin, car quelques kilomètres plus loin, les Russes prendront les chevaux, en échange d’une vieille carne qui n’a plus que la peau et les os. Ils auront toutes les peines du monde à monter les côtes, étant obligés d’aider le cheval, à la plus petite montée.

De-ci, delà des cadavres de soldats allemands dans les fossés, dans les champs, tous déchaussés. Il y a aussi des voitures, autos, charrettes, renversées dans les fossés ; des chevaux ; des vaches, des cochons, les quatre fers en l’air, gonflés pour la plupart ; et tout ce qu’une armée en déroute peut abandonner. Voici un char de réfugiés, dans les fossés, les vêtements, le linge, les caisses ; tout est en désordre. Où sont passés les êtres qui ont quitté leur foyer devant l’avance soviétique ?

Des soldats placent les lignes téléphoniques de campagne. Nous arrivons en haut d’une côte. Enfin un village où il n’y a pas de troupes. Nous nous arrêtons à la première maison. A l’entrée un tas de sacs tyroliens, trempés de neige et de fange. Nous nous installons qui dans l’étable, qui dans la grange en gardant bien auprès de nous nos sacs et valises.
On casse la croûte comme on peut, non sans avoir visité les autres maisons où nous pouvons trouver des victuailles. On se régale de manger de la viande (du poulet, du cochon). C’est le pain qui manque le plus. Nous le remplaçons par des pommes de terre.

En allant de maison en maison, j’ai été horrifié par de spectacles inoubliables. Une truie, de son groin, cherchait dans le fumier sa nourriture et secouait le cadavre d’un soldat allemand qui la gênait.
Plus loin, un autre Allemand gisait l’annulaire droit coupé. Un peu partout, des cadavres. On s’était battu, ici.
Dans la maison où nous sommes, il y a un vieil Allemand qui se désole ; il est atterré, chez lui tout est sans dessus dessous, comme partout. Je vois sur le chemin des billets de banque allemands, on lui a tout jeté dehors. C’est le revers de la médaille et il paye pour ceux qui ont conduit son pays à la guerre. Il nous prête complaisamment des ustensiles de cuisine.
La nuit tombe ; je m’installe dans la paille et je m’endors aussitôt. "

4 mars 1945


" Nous reprenons nos pérégrinations sur la route après avoir bu notre café ersatz. Maintenant, nous avons tous des carrioles à bras et on est plus à l’aise pour marcher. Nous croisons toujours des camions (américains !) chargés de pièces d’artillerie tractée, de chars.
Nous allons vers Polnow où de durs combats ont eu lieu, alors que nous étions encore à Martinshagen.

Nous arrivons dans la ville encore en flammes.
Toujours des cadavres dans le fossé, sur les trottoirs. Voici une femme étendue, le corps à demi nu. Nous traversons la ville en hâte, la route est jonchée de débris de toute sorte.
Où logerons- nous ce soir ? Nous arrivons dans un village comme les autres.
Les troupes russes continuent à déferler vers l’avant. Nous faisons halte dans ce village et tout de suite on prépare le souper.
Les Russes s’introduisent dans la maison et sont heureux de partager notre repas. Avant de partir ils arrosent de leurs mitraillettes quelques tableaux encore au mur. D’autres cherchent à causer avec nous ; l’un d’eux partage entre tous son paquet de tabac.
La nuit venue nous nous installons sur des matelas recouverts d’édredons, nous passons une nuit bien au chaud. "

5 mars 1945

" Personne ne s’occupe de nous, nous reprenons notre marche en direction de l’Est, vers la Pologne, pas très éloignée
Encore des aventures, après de nombreux jours de marche pour arriver en Pologne, dans une gare, trempés jusqu’aux os. Même pas séchés, nous montons sur des wagons découverts, à charbon.
Le train nous amène à Bromberg (Bydgoszcz) Nous sommes parqués dans un camp, longtemps, avant d’être amenés, par train, à Odessa, camp de Lunsdorf, à 15 kms de la ville.

Je quitterai Odessa le 2 août 1945 pour arriver à Strasbourg le 21 août 1945. A Paris le 22 août, à Chanac le 23 août 1945. J’ai retrouvé ma petite femme, mes parents, mes beaux parents. Quelle joie !!! après tant de souffrances.

(Copie d’un brouillon, sans corrections, conservé depuis ma captivité et ma libération par l’armée soviétique le 2 mars 1945) "

Ce qu’il n’écrit pas, c’est qu’il arrivera à Paris dans un uniforme russe et qu’à son arrivée on lui remettra un uniforme américain.
Me restent des boutons soviétiques et la vareuse américaine.

Ce qu’il n’écrit pas mais qu’il nous a raconté, c’est qu’il buvait dans un crachoir.

Ce qu’il n’écrit pas non plus c’est qu’en 1943, il épousera ma maman par procuration.
Lui au Stalag et ma Maman à Lyon dans le VII ème.
Je suis toujours à rechercher les documents venant d’Allemagne.
Mais je connais le nom des deux sous-officiers qui ont reçu son consentement le 15 mars 1943.
Il s’agit d’André Gilles sergent- chef au 45ème RI et d’André Rocton sergent au 117ème RI, tous deux prisonniers en Allemagne au Stalag II B.
(Copie de l’acte de mariage du 22 juillet 1943, en présence d’Henri Drevet, officier de l’Etat Civil de la mairie du VII ème arrondissement de Lyon et des deux témoins, savoir René Pagès et Léonie Chardès)
Rentré trop tard, son poste de professeur étant occupé, il rentrera dans la gendarmerie avec déjà une ancienneté de dix ans.
Il occupera un emploi de comptable toute sa carrière.

Papa nous quittera le 11 juillet 1986 et Maman le 17 mars 2017