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Mon grand-père, peu avant son décès en 1989, m’avait raconté ce qu’il
lui était arrivé lors de la guerre 39-40.
J’avais recueilli des informations dont je vous fais part.
Odon PAUTRE, né à Vauvillers dans la Somme le 4 août 1907,
d’origine agricole, tenait un café-épicerie, était marié et père de
deux enfants 10 et 8 ans lorsqu’il partit pour la guerre en
septembre 1939.
Direction LAON- CHARLEVILLE. Il est fait prisonnier à ROCQUIGNY dans
les Ardennes en mai 1940.
Quinze jours de marche, direction l’Allemagne, traverse le Luxembourg
puis départ en wagon IIB vers la Poméranie.

Il
travaille comme ouvrier agricole dans une ferme de 750 ha près de
la Baltique, à sept kilomètres de la mer.
Il
est libéré par les russes lors de l’offensive du général de Joukov en
1945.
Il
est envoyé avec d’autres prisonniers à pied jusqu’à Varsovie,
Cracovie ; il reste deux mois en camp avec pour toute nourriture
du millet et poisson salé (27000 hommes).
Rapatriement de Russie en train jusqu’à Magdebourg, huit jours de train
vers la Belgique.
Arrivée dans un camp, camions venus chercher les prisonniers direction
Lille. Il a entendu parler Français autour de lui pour la première fois
depuis cinq ans. Lille-Albert par le train : retour de la guerre
26 juillet 1945.
Mon
grand-père s’est tenu à des propos précis quant aux faits et aux dates,
mais peu de choses sur ces cinq ans passés là-bas sinon que ses
compagnons de captivité et lui s’essayaient à saboter le travail dans
les champs, pensant ne plus être en Allemagne l’année d’après.
Evidemment, ils subissaient les représailles l’année suivante lorsque
les allemands découvraient des cailloux ou des branchages dans le foin
ou la paille. Il m’avait également dit qu'à la libération par les
russes, cela ne s’était pas passé comme il l’espérait.
«
Ha, ma t’chiote, (dans son picard) les russes, c’étaient des brutes, Je
ne les aime pas ceux-là, ils ne font pas de sentiments »
Mon
grand-père est décédé en 1989, mais dix ans plus tard, mon fils faisant
un stage agricole en Pologne, près de Stettin, j’ai réalisé que
mon grand-père me parlait souvent de l’Oder, et que le fleuve était
tout près de Stettin. Nous avons décidé, mes parents, mon époux
et moi-même de nous rendre là-bas pour voir notre fils et
également faire une sorte de pèlerinage.
Monsieur Constantin RENARD, lui aussi dépendait du camp HAMMERSTEIN
IIB ; Il habitait Harbonnières dans la Somme à côté de Vauvillers.
D’ailleurs, leur amitié ne s’est jamais démentie. Au retour de la
guerre, ils se rencontraient souvent, et évoquaient leurs souvenirs.
Ils
se considéraient comme des frères. Ce monsieur qui était déjà âgé, et
aujourd’hui décédé également, m’a fourni de nombreuses
explications quant à leur détention et à leur vie quotidienne.
Il
m’a précisé le nom du camp : Hammerstein IIB
Arrivée en Poméranie le 1er juin 1940, arrivée à STRIPPOW
(STRZEPPOWO) le 21 juin près de Koszalin. 32 prisonniers sur des
pailles de seigle.
Il
y avait à chaque extrémité du village une grosse ferme, l’une de 750
ha, l’autre de 370 ha, ferme dont le nom ou le propriétaire
s’appelait BLANCKENBURG ? Grand-père a été quelques semaines
dans la ferme de la grande maison blanche (voir photo) puis a passé le
reste de sa captivité dans la seconde ferme au bout du village.
Lors de notre périple, nous n’avons pas vu de maison d’habitation mais
nous n’avons pas osé nous aventurer plus loin. Il reste deux bâtiments
dont un servait de dortoir aux prisonniers (voir photos).
Dans cette ferme, il y aurait une petite rivière dans la cour ;
nous n’y avons pas prêté attention, peut-être existe-t-elle encore…
Mon
grand-père faisait office de cuisinier, le contexte était
particulier ; d’après ce que j’ai compris, le propriétaire ou le
régisseur de la ferme, réfractaire au gouvernement d’Hitler, était
emprisonné, et seuls, sa femme et ses enfants étaient dans les lieux.

On
m’a parlé d’une certaine Véra, fille du régisseur. Apparemment, mon
grand-père faisait les corvées domestiques et je ne sais pas si son
sort était mieux ou pire que les autres. J’ai tendance à croire qu' en
cinq ans, des amitiés entre lui et les gens du village sont nées,
malgré les horreurs de la guerre.
Son
compagnon de captivité m’a raconté qu’ils se retrouvaient le soir dans
le café du village, il est toujours existant (voir photo) café WEMMER
au milieu du pays. Il y avait aussi un temple (église) dans le village
sur une butte avec le cimetière à coté (voir photo)
Un
soir, mon grand-père vint retrouver ses compagnons au café inquiet de
savoir que le propriétaire ou régisseur de la ferme avait une
permission pour revenir voir sa femme et ses enfants.
Qu’allait-il penser de ce français qui était dans sa maison ?
Le
lendemain soir, il revint au café et donna à son compagnon un cigare
« tiens, lui dit-il, c’est l’allemand qui m’a donné deux cigares
pour qu’on les fume ensemble. Il m’a dit avant d’être obligé de
repartir qu’il s’inquiétait beaucoup pour sa femme et ses enfants et
qu’il me remerciait d’être présent et qu’il était plus rassuré.
A
l’arrivée des russes, mon grand-père était dans la cour de la ferme, le
fils de la maison non loin de lui. Les russes ont voulu emmener les
chevaux dans l’étable. Le garçon de 15 ou 16 ans s’est interposé, se
mettant devant.
Les
russes ont tiré et l’ont tué devant mon grand-père atterré, un gamin
qu’il connaissait depuis cinq ans.
J’ai su par son compagnon, qu’il l’a pris dans ses bras, et l’a ramené
à sa mère.
C’était un moment terrible.
Ce
bref témoignage pour laisser à mes enfants, petits-enfants et arrière
petits-enfants
La
mémoire de notre famille et leur apprendre qu’en temps de guerre, leur
ancêtre, mon grand-père qui était un homme droit et honnête a été
plusieurs fois mis en joue pour exécuter des ordres qu’il refusait.
La
vie ne tenait qu’à un fil. La chance était avec lui. Il est
revenu. "