STALAG IIB   HAMMERSTEIN,   CZARNE en POLOGNE

CAMP de PRISONNIERS de GUERRE 1939-1945 en POMERANIE

MEMOIRES DE L'ADJUDANT  BAERT

 

 

 

  

 

Avant-propos de Philippe GUILLOTIN

 

« Ce document pour les chapitres VI à XXII est issu du CEGESOMA : Centre d’Etudes et de Documentation Guerres et Sociétés Contemporaines 29, Square de L’Aviation 1070 Bruxelles      http://www.cegesoma.be/

 

Pour les chapitres I à V, parus en feuilletons dans le Sous Officier Belge, et qui manquaient dans le dossier CEGESOMA, ils m’ont été aimablement et gracieusement communiqués par le Service Général du Renseignement et de la Sécurité BRUXELLES, que je tiens à remercier tout particulièrement.

 

Les mémoires de l’Adjudant BAERT ont été publiées dans : « Entre l'Oder et la Vistule » et « Tussen Oder en Weichsel » pour le titre Flamand aux Éditions ERASMUS à Gand.

 

Je me suis efforcé de reproduire ce texte de façon strictement conforme à l’original, sans y apporter de modifications de mon fait. Toute différence avec l’original, ne pourrait être que le résultat d’une erreur involontaire de ma part. »

 

HAMMERSTEIN I

 

Sous la pression de deux paires bras robustes, la porte de l'entrée s'ouvre, lentement, grinçante, récalcitrante.

Cette porte, véritable barricade de montants,  traverses et fils de barbelés entrecroisés, nous fait penser à la gueule d'un de ces monstres  préhistoriques qui ne demande pas mieux que de nous avaler, nous, si minces, si faibles, si fatigués ! A en avoir la terreur de cette gueule ouverte vers laquelle on nous pousse en avant.

Un frisson nous parcourt la colonne vertébrale en nous approchant de ce monstre et nos premiers pas à l'intérieur de ce domaine des anonymes se font les genoux tremblants devenus trop faibles pour traîner des pieds de plomb.

Savoir déjà que dorénavant, on partagera le sort de ceux qui vivent dans l'anonymat, à la merci de bourreaux, la vie de bagnards, nous fait poser la question « est-ce pour longtemps ? Pour combien de temps ? Et puis, le temps compte-t-il encore quand on supprime la liberté à quelqu’un ? " 

Devant nous, la route centrale droite et nouvellement construite tirée au cordeau. Elle partage le camp en deux parties égales. À gauche et à droite de cette droite, se rangent, alignés et distancés d'une façon régulière, les baraquements. Presque toutes ces baraques ont leurs portes donnant sur la chaussée centrale. Ce sont des petites portes, étroites, peintes en branle, qui font penser à une rangée de boutons rigoureusement fermés.

Ces baraques sont numérotées côté gauche par des chiffres pairs de 2 à 28 et le côté droit par des chiffres impairs. L'ensemble est entouré de doubles barrières de fils de fer barbelé. À l'entrée, mais en dehors des barbelés, se dresse le corps de garde. En face, le bureau de poste et deux magasins.

Le premier bâtiment à l'intérieur est le bloc administratif appelé « Kartei ». Immédiatement à côté de la Kartei se dresse l'infirmerie. De l'autre côté de la route et en face de ces bâtiments se trouvent deux magasins de ravitaillement. Cet ensemble constitue en quelque sorte la partie du camp vers laquelle les regards des prisonniers se tourneront le plus souvent ! À peu près à mi distance de l’allée centrale, se trouve la cuisine qui est retirée de l'alignement des autres baraques, de façon à faire place à une plaine de rassemblement. En face d'elle, de l'autre côté de la route, le bloc abritant la cantine et des magasins.

Derrière les baraquements, on trouve quelques WC, ainsi que l'installation des bains, appelée « Badestelle ». Plus loin encore une série de tentes immenses plantées sur un terrain sablonneux.

Puis, le vide jusqu'aux barbelés derrière lesquels se trouve ( ?), un autre monde, ( ?) dont nous sommes exclus.

 

Le sol sablonneux et d’un teint grisâtre, stérile à tel point que même la mauvaise herbe n'y pousse pas. Quant à la clôture de fils de fer barbelés elle se compose en réalité, de trois barrières distinctes. Deux extérieures d'une hauteur d'environ 4 m, séparées l'une de l'autre. Dans cet espace entre les deux clôtures de fil de fer, sont déroulés des serpentins de barbelés.

Une troisième clôture se trouve à une dizaine de mètres à l'intérieur du camp elle constitue le « no man’s land » dont l'accès est bien entendu défendu aux prisonniers.

Une dizaine de miradors, complètent le système de sécurité.

Sur ces tours, surmontées d'une cabine pour les sentinelles, sont installés des projecteurs qui, la nuit, éclairent le « no man’s land ». Les mitrailleuses pointées vers ces corridors le long de la clôture, ne laissent aucun doute quant au sort qui attend celui qui risquerait de s'approcher des barbelés. En plus, un nombre respectable de sentinelles est placé à l'extérieur du camp, et un plus grand nombre encore patrouille à l'intérieur.

En ce douze septembre 1940, pénètre en nous cette triste réalité, petit à petit l'esprit se laisse décourager et nous nous disons qu'il faudra un véritable miracle pour nous sortir de cet enfer.

Sans tarder, notre colonne est dirigée vers les tentes derrière les baraquements. Les gardiens nous empêchent tout contact avec les prisonniers belges, français et autres, déjà   « anciens » dans ce maudit « stalag ». Aussi, l'enceinte des tentes est-elle soigneusement séparée du restant du camp par l'inévitable « barbelé ».

A distance, nos copains ne nous quittent pas des yeux, peut-être retrouvera-t-on un ami, une connaissance, ou un frère d'armes ? Peut-être y a-t-il bien quelqu'un parmi nous qui a des nouvelles fraîches de Belgique ? Car, d'où venons-nous ? Et comment ? Et depuis quand ? Hélas ! Ils ne savent pas encore que nous avons seulement vu un petit coin de notre beau pays à travers les fenêtres d'un wagon à bestiaux.

Les anciens en criant, nous mettent au courant de ce qui nous attend sous peu, les fouilles, et ce que nous devons essayer de cacher. Si vous avez un porte-plume réservoir, un rasoir, une carte, un briquet, un canif, une lampe de poche, jetez-les par dessus les fils, quand la sentinelle sera passée et nous les cacherons pour vous.

Nombre d'objets passent ainsi les barbelés qui nous séparent d'eux, jusqu'à ce qu'une patrouille s'aperçoive de la manœuvre ; les premiers coups de crosse sont administrés.

Bientôt, c'est le « rassemblement » et quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons sur une chaise devant l'homme qui manipule la tondeuse.

D'un grincement moqueur et sinistre, la machine passe en plein dans les cheveux et à chaque reprise, il nous semble perdre un peu de notre état d'homme civilisé. C'est la première véritable humiliation que nous subissons, la mort dans l'âme, le cœur se remplissant de haine. Il n'y a plus de doute maintenant, nous sommes des « condamnés  », des « marqués au fer rouge ».

Pendant deux heures, nous attendrons nos vêtements recueillis pour la chambre de désinfection. A plusieurs groupes de trente « rasés », tout à fait nus, nous peuplerons une salle d'attente non chauffée. Grande est la consternation lorsqu'on voit s'ouvrir une porte par laquelle un paquet de vêtements est poussé vers le milieu de la salle. Tout est entremêlé : caleçons, vestons, pantalons et chaussettes ! Quelle « fournaille ! » Retrouver son bien dans ce tas de vêtements est une opération quasi impossible, d'autant plus que les nazis ne remettent que 145 pantalons pour 150 déculottés. Cinq camarades durent ainsi quitter le lieu en caleçon — et nous n'étions qu'au début de notre étonnement ! En effet, de tous côtés, on entendait l'exclamation : « Ils ont vidé mes poches ».

A notre information, les  réponses étaient aussi simples que possibles : « Votre tabac ? Oui, nous l'avons jeté car il était devenu inconsommable suite à l'intoxication par le gaz. » — « Votre portefeuille ? Oh là ! Il n'y a pas de doute, ce doit être un copain malhonnête qui l'a pris ! » etc…

 Tout doucement, nous comprenions que nous étions loin d'être civilisés comme eux  !

L'opération « couper les cheveux et se faire voler dans la chambre de désinfection »  continua toute  la  nuit.

 Rentré sous la tente, chacun se cherche une petite place dans le sable, où enroulé dans le manteau, on espère trouver quelques instants de repos, et peut-être un peu de sommeil. 

La nuit de septembre en Poméranie, nous chasse de notre couchette de sable vers quatre heures du matin. La tente se transforme bien vite en une véritable fourmilière. Tant d'objets perdus, tant de choses qu'on ne retrouve plus, tant de désillusions, de craintes et aussi tant de haine qui nous ronge le cœur

Une patrouille fait son apparition. Ceux qui se trouvent le plus près de la porte d'entrée, sont réquisitionnés pour la corvée « café ». Encadrés de gardiens, ils se rendent à la cuisine où chacun d'eux recevra deux cruches remplies de ce qui s'appellera dorénavant « le jus ». Ce liquide brun jaunâtre, qui n'a rien de commun avec du café, est placé devant la tente à la disposition des clients. Une bouffée d'odeur suffit pour faire reculer les premiers qui, plutôt par curiosité, se sont avancés vers les récipients. Dans ce domaine également, nous devons apprendre beaucoup ; nous nous en rendrons mieux compte plus tard.

Non loin de notre tente, se trouve une pompe à eau, elle nous fournit le jus de ce matin. Cela ne fait pourtant pas le jeu de nos gardiens qui ne tardent pas à couper l'eau.

Bon gré, mal gré, le jus du matin trouvera ses clients, la moitié du gobelet pour le déjeuner, l'autre moitié pour la barbe...

Vendredi 13 septembre. « Austreten », ce qui veut dire « rassemblement ». En rangs par cinq, nous sommes dirigés vers la « Kartei » pour l'immatriculation.

Une grande salle, une vingtaine de tables sur lesquelles sont placés des paquets de formulaires. Et derrière chaque table, un prisonnier français. Evidemment, les Français sont les « plus anciens dans le stalag IIB, les « Job »  sont donc titularisés par des « Poilus ».

Devant une de ces tables, nous devons déclarer notre identité et d'autres renseignements d'ordre administratif tels que religion, Flamand ou Wallon, marié ou célibataire, militaire de carrière ou réserviste et tant d'autres.

« Remettez votre argent » - Nous en étions avertis et mainte épaulette était gonflée par la présence d'un ou plusieurs billets, et même .les boutons de la veste contenaient un billet plié. En échange, nous reçûmes une plaque métallique d'immatriculation portant la mention : « Stalag IIB », suivie d'un numéro. Dorénavant, nous n'étions plus que ce numéro, nous venions de prendre place dans les rangs des « sans nom », des bagnards, des oubliés. Une fois de plus, le coeur, débordant de tristesse, se révolte.

Assis à trois sur un banc, le crâne rasé, les yeux brillants de colère, une pancarte portant le numéro devant la poitrine, nous sommes photographiés. C'était ce qu'il fallait : l'homme et son numéro, car un nom, il n'en avait plus.

Entre-temps, l'heure de midi est passée. En rangs par quatre, porteur de la gamelle, ou d'un récipient en faisant les fonctions, nous nous dirigeons vers la cuisine. Que nous soyons servis à quinze heures ne gène d'aucune façon l'appétit du souper pour la bonne raison que ce dernier n'existe pas !

La nourriture de la journée consiste en une louche de soupe à midi, un mélange sans nom ni goût, tantôt épais, le lendemain clair, comme de l'eau. Une épaisse tranche de pain noir, garnie d'une cuillerée de «marmelade» ou d'un produit équivalent, et semble-t-il suffisant pour être « dégusté » entre le souper et le petit déjeuner.

Dans un camp comme le Stalag IIB, il est difficile d'estimer le nombre de prisonniers. D'après nous, ce chiffre doit se situer entre dix et quinze mille. Il y en a de nationalité française, polonaise, russe (des Russes blancs), marocaine, etc… et bien entendu des Belges.

Après quelques heures de vie dans ce stalag, nous devons déjà creuser la tombe pour un camarade de notre transport, tandis qu'un autre a perdu la raison. Et dire que cela ne fait que commencer !

Le jour suivant, nous allons subir la première « fouille ». Traqués par un nombre respectable de soldats allemands, nous sommes dirigés vers la plaine devant la cuisine. Plus rien n'est resté dans la tente, car le moindre objet oublié ou laissé volontairement, est d'office confisqué.

A distance, nous assistons au dépouillement des trente premiers. Placés le long d'un mur, ils doivent déposer tout ce qu'ils possèdent devant eux. Chacun d'eux se voit attribuer un soldat allemand qui « fera l'inventaire » de sa victime jusque dans la pointe des poches. Sur une couverture étalée devant le groupe, nous voyons bientôt s'amasser des rasoirs, des briquets, des canifs, des cartes, des porte-plume et des dizaines d'autres objets chers dans les mains d'un prisonnier, mais volés impitoyablement par ceux qui se disent appelés à nous civiliser.

C'était notre première fouille et tout comme la jeune recrue n'échappe pas à sa première corvée, nous étions « vus » d'une belle façon, nous aussi.

 

suite page 2

 

RETOUR  p.1  p.2  p.3  p.4  p.5  p.6  p.7  p.8  p.9  p.10  p.11  p.12  p.13  p.14  p.15  p.16  p.17  p.18  p.19  p.20  p.21  p.22

 stalag2b@free.fr                     site créé en août 2007