STALAG IIB   HAMMERSTEIN,   CZARNE en POLOGNE

CAMP de PRISONNIERS de GUERRE 1939-1945 en POMERANIE

 

MEMOIRES DE L'ADJUDANT  BAERT

 

 

 

 

 

 

HAMMERSTEIN IX

 

On les voit en petits groupes, se promener sur l’allée centrale du camp, le bonnet coiffant les oreilles et le col du manteau relevé. Dans les baraques se déroulent d’interminables discussions sur des sujets sans aucune importance, des objets qui seraient totalement ignorés par nous tous dans la vie normale.

Lentement nous commençons à organiser des heures de « récréation ». Généralement au cours de ces séances, on chante, on récite et on raconte des blagues. À ces occasions, une des baraques et transformée en salle de spectacles, à cette fin «l’ameublement», c’est-à-dire les couchettes  et les tables, sont rangées dans un fond de la pièce où elles font office de podium.

Des séances humoristiques inoubliables se déroulent ainsi fait, souvent nous en sortons dotés d’un moral plus fort, ayant pu oublier pendant quelques minutes notre triste sort.

Il arrive qu’une patrouille en tournée vient et, rien que par sa présence, nous gâte le plaisir. Ces séances, modestes au début, se développent bientôt jusqu’à de véritables pièces de théâtre où chaque fois, on s’étonne du génie et de l’ingéniosité du prisonnier. Bientôt aussi les visites des Allemands se multiplient et même des officiers viennent assister au spectacle. C’en est fini avec la vraie gaieté et ces séances perdent le caractère d’intimité, le sens «entre nous ».

En 1942 elles sont absorbées par un Cercle Artistique et, depuis ce moment, c’est la fin de ces heures récréatives, car les Allemands tiennent à ce que ces séances revêtent le caractère du « professionnel ». La « bourgeoisie » du Stalag a accaparé ce que nous avions créé pour et par nous. Les camarades du Stalag IIB se rappelleront longtemps notre ami TJEEF, un pur sang gantois, qui y racontait des blagues tant et plus et qui nous faisait vivre des minutes inoubliables. Qui ne se rappelle plus son grand succès : «Kille kille Watsh » ?

Nous essayons de nous distraire par tous les moyens, le sport y prend sa place, vous n’en doutez pas. Nous voulons jouer au football. Trouver des montants pour nous faire des buts est une chose fort compliquée dans un camp de prisonniers. Heureusement que les longues planches du toit d’une des baraques WC se laissent assez facilement démonter !

Nous voilà lancés dans les préparatifs des matchs de football qui, malgré ces circonstances difficiles, attireront la masse du camp vers le terrain sablonneux derrière les baraques, et nous replaceront, pour une après-midi, dans l’atmosphère d’un stade en Belgique.

Des souliers ? Qui possède encore de bons souliers en 1941 ? Les bottines de toute la baraque sont rassemblées et les joueurs feront leur choix. Des chaussettes, il n’y en a plus, mais on peut s’en passer. Des culottes ? Pas d’obstacle, des caleçons raccourcis feront l’affaire et les maillots sont remplacés par des chemises de la même couleur ou à peu près.

Le succès que rencontre cette entreprise nous fait décider d’organiser un tournoi auquel ne participe pas moins d’une dizaine d’équipes.

Vraiment, c’est la fièvre du football dans le camp. Il y a tout d’abord les équipes nationales, belge française polonaise ensuite les éplucheurs de patates, les cordonniers, les tailleurs et des cuistots. Une équipe composée de huit Belges et trois Français, joueurs professionnels, et baptisé « Franco-Belge » restera imbattable pendant des mois. Des matchs internationaux figurent bientôt sur le programme, tels que Belgique-France et Belgique-Yougoslavie. Ces rencontres se jouent le dimanche après-midi et des centaines de spectateurs se rangent autour du rectangle sablonneux derrière les baraques. Pendant le repos, des dévoués font une collecte pour l’achat du matériel, car il faut aussi dessiner des affiches, et ce qu’il faudrait surtout c’est un ballon gonflé d’air au lieu de vieilles loques !

Quelques optimistes ont même organisé un concours de pronostics. Le jeu de football nous apporte vraiment une bonne récréation, hélas, comme toujours, les Allemands ne supporteront rien de ce qui nous plaît et, un beau jour, les patrouilles par ordre du « Arbeiteinsatz » font une razzia pendant un match et ramassent les trois-quarts des joueurs pour les envoyer en «Kommando».

La récréation sportive au IIB perd de ses plumes. Ce seront les belges qui plus tard essaieront à nouveau de renflouer la pratique des sports au Stalag. Grâce à eux il y aura encore, et malgré tout, du football, de la boxe, de la lutte. Sitôt qu’une manifestation sportive est en vue, dans chaque groupe de fans, les discussions vont leur train.

L’homme qui doit présenter son groupe, son arme, son pays, sera spécialement soigné. Les autres lui céderont une partie de leur ration, car il faut qu’il se présente dans de bonnes conditions pour défendre l’honneur belge.

« Mens sana in corpore sano ». L’esprit, nous le tiendrons aussi intact que possible, le corps, lui, est malheureusement entre les mains de nos gardiens qui ne s’occupent guère de son état et de sa validité. Je dirais bien au contraire, car on les voit soucieux dès que nous nous portons relativement bien.

Nous avons déjà dit que le camp IIB. possède effectivement une cantine. L’accès à cette cantine, lieu sacré, est interdit à nous tous, sauf aux chefs des baraques, certains jours.

Munis d’une liste d’objets sollicités, ils se présentent devant le bâtiment où la moitié des objets sera déjà biffée pas la première inspection allemande.

Finalement, notre homme pourra se contenter d’une poignée de lames à rasoir pour les 300 « barbus » de la baraque. Il arrive qu’il s’amène avec une boîte ou de cigarettes polonaises. On risque sa vie chaque fois qu’on essaye de fumer ce tabac noir dans un tuyau en carton ...

Pour acheter, il faut de l’argent, et seuls les « Lagermarks » sont valables au camp. Il n’y a que ceux qui travaillent et qui en sont les heureux possesseurs. Comment s’y prendre ? Le «marché aux puces» ! En effet on n’y change volontiers un billet de 50 ou 200 F en argent de camp moyennant le pourcentage inévitable pour l’agent de change. Il nous est défendu d’avoir de l’argent, mais de l’autre côté, on nous obligeait de payer notre lettre ou la carte pour écrire à la maison. N’essayons pas de comprendre.

Pour en revenir à notre cantine, l’étalage (car il y en a un) nous montre des rasoirs rabot et des nécessaires apparentés, boîte à savon – bien entendu sans savon – le nécessaire à écrire et à dessiner, sauf le papier, des brosses à dents et des peignes, les objets les plus inutiles dans un camp de prisonniers. Jamais ces choses ne sont à vendre, elles sont exclusivement destinées à garnir l’étalage de cette cantine, surtout aux jours où une commission de la Croix-Rouge Internationale visite le camp.

Ces visiteurs sont alors escortés vers la cantine et la cuisine. Rarement nous aurons l’occasion de les approcher, car ils sont entourés du commandant du camp et de son état-major. En plus, des patrouilles les précèdent en écartant soigneusement tous ceux qui se risquent sur la route centrale. Seuls, les hommes de confiance des différentes nationalités sont convoqués à la fin de la visite. Ceci se passe en présence des officiers du camp, ce qui n’est guère un encouragement à parler. Sachant que des représailles suivront inévitablement pour tous ses copains, l’Homme de Confiance préfère souvent ne rien dire.

 

suite page 10

RETOUR  p.1  p.2  p.3  p.4  p.5  p.6  p.7  p.8  p.9  p.10  p.11  p.12  p.13  p.14  p.15  p.16  p.17  p.18  p.19  p.20  p.21  p.22

 stalag2b@free.fr                     site créé en août 2007