HAMMERSTEIN
XXI
Le Chef de gare
" Herr Hoffmann " est l’homme de qui tous les
prisonniers, aussi bien les Français que les Belges, garderont un bon
souvenir. Il est anti-nazi jusque dans l'âme, sa plus grande
satisfaction est de rendre service aux bagnards d'Hitler. En 1938 il a
été condamné à 8 mois de camp de concentration, ce qui ne l'empêche pas
de continuer la lutte contre le régime et la " Partei ".
La gare, isolée du restant du patelin, deviendra pour nous, au fil
du temps, le centre de renseignements sur les opérations de guerre. Le
chef de gare n'a pas d'amis parmi les indigènes, ils ont peur de passer
pour l'ami d'un ....communiste. Le plus âgé de ses fils laissera la vie
sur le champ de bataille de Williky Lucky en Russie, à la Noël 1942. Le second,
appelé sous les armes à l'âge de 17 ans, tombera dans les combats lors
de la retraite des troupes Allemandes en février 1945 près de la
frontière Hongroise. En fin le troisième, Erich, 12 ans deviendra
l'agent de liaison entre son père et les prisonniers.
Après des années de séjour dans ce village
Poméranien il est normal que les habitants connaissent tous les
prisonniers par leur nom et prénom. A la fin leur attitude envers nous
devient plus souple et les contacts journaliers plus humains. Aussi le
service de propagande se rend-il compte de cette situation et il ne
manquera pas d'essayer de remettre tout dans le pli de 1940.
C'est ainsi qu'un beau matin en 1942 nous voyons sur les murs des
bâtiments tant privés que publics, des affiches.
Dans n'importe quelle direction où notre regard
se dirige, partout nous lisons " Feind bleibt Feind " - ennemi reste
ennemi -. Paysans et travailleurs qui, depuis de longs mois nous
disaient leur " Guten Morgen " et qui risquaient de temps en temps une
petite causette, tournent la tête à notre rencontre. Nous remarquons
qu'à certains cela fait de la peine, ils en ont honte eux-mêmes, Mais
... ils obéissent et se répètent " Feind bleibt Feind ". L'Allemand
d'ici ne se rend pas compte de la situation réelle, il ne voit pas
I’erreur et la cruauté du régime Hitlérien, aveuglé comme il est par la
propagande.
Un fonctionnaire du parti vient annoncer la
mort d'un jeune homme, tombé en Russie. En pleurant la mère répond : "
Unser Führer wird mit uns zufrieden sein " - notre Führer sera content
de nous .... je l'ai donné pour l'Allemagne.
Ici en Prusse, où la discipline brutale est
d'actualité, Goebbels trouve un terrain Idéal pour son action de
propagande. Les rares intellectuels sont payés pour se taire et pour
plaire aux "grands" ils hurlent avec les loups.
Dans l'instruction des enfants à l'école on
trouve ce qui est militaire et national-socialiste à la place d'honneur.
Pendant mon séjour à Zamborst, notamment en 1944, j'ai réussi à me
procurer les questions posées aux élèves de la 6° Année primaire, à
l'occasion d'un examen de fin de trimestre. Les voici :
1.
Donnez les limites de la Grande
Allemagne.
2.
Où et quand est né le Führer Adolf
Hitler?
3.
Qui est l'officier de
la Marine Allemande
décoré par le Führer avec le "Eichenlaub mit Schwertern" ?
4.
Quelques règles de calcul,
multiplication, soustraction, etc…
5.
Rédaction, sujet : Un exercice en
groupe de la jeunesse Hitlérienne.
Sans commentaires.
Au tableau, chaque matin (on lit ? partie
déchirée) le communiqué du Grand Quartier Général du Führer." Aus dem
Führer- Hauptkartier ", relatant les nouvelles du Front. Les
commentaires sur ce communiqué constituent l’objet de la première leçon
de la journée. Quand on tient compte des heures de cours, en été de 8
heures à 12 heures, en hiver de 8h30 à 12h30, et une longue période de
suspension quand le travail sur les champs prime toute autre activité,
on se fait facilement une idée de la matière absorbée par la jeunesse de
ce coin maudit de l'Allemagne.
Mais, retournons vers ce 29 juin 1941.
La voix hurlante de Médor nous éveille à 6 H avec un "Aufstehen" trop
bien connu. Revenant à la réalité nous allons donc aujourdfhui
faire connaissance avec le travail à Zamborst. Le "Ersatzkaffee" est
réchauffé en vitesse. Médor enlève le verrou de la porte ce qui nous
permet de nous laver dehors. Le temps de nous habiller et à 7 H précises
Manneken Pis sonne la cloche. A l'appel pour la distribution du travail
nous sommes alignés à côté des Français qui ont à leur droite les
Polonais. Les Allemands se trouvent à l'extrémité, un peu à part, bien
sûr ! Les jardiniers, les chauffeurs de tracteurs et quelques autres
effectuant un travail fixe se dirigent directement vers leur travail.
Ils restent dans les rangs à peu près 75 " Stück " comme on a l'habitude
de dire ici. Les esclaves, les bons à rien et à tout.
Voilà le Singe qui s'amène, la canne dans la
main droite, en conversation avec Manneken Pis qui, lui aussi, se sert
d'une canne. Ils se placent devant la rangée avec un " Heil Hitler "
vers les Allemands et un " Morgen " dans notre direction. Les vingt
premiers pour les champs de la vallée, les dix suivants devant la gare,
les cinq suivants dans les étables pour charger du fumier, les quinze
suivants ... etc, etc, jusqu'au dernier de la rangée. Les sentinelles
Médor, et Pèlerin sont .prêts à partir et quand chacun a reçu son
outil la colonne se met en marche. La cadence que nous entretenons n'est
pas, bien sûr, celle d'une troupe en marche. Pour arriver aux champs
situés à 3 Km
de la ferme, nous mettons environ une heure et demie, ce qui ne nous
empêche pas de parcourir la même route au retour en trois quarts
d'heure.
Démarier les betteraves qui ont déjà une
hauteur de 15
centimètres sera notre premier travail. Nous sommes placés sur une ligne
devant ces interminables rangées de plantes desquelles chacun de nous en
aura deux pour son compte. Nous, des non initiés dans les secrets du
travail des champs, nous sommes mis au courant par Manneken Pis en moins
de temps pour le dire. "Debout, rampez ou à genoux, cela est bien égal
- laissez une plante tous les dix centimètres - los, los".
Poussant un soupir nous nous mettons à genoux
pour commencer. Ce travail n'est pas lourd, nous disent les Français,
mais monotone. Nous ne regardons pas de si près et plus d'une fois nous
oublions la distance de dix centimètres. Médor nous suit sur les pieds
et de temps en temps il essaie de nous agiter en criant quelques
syllabes de son patois Prussien. Qu'il y ait un soleil brillant, que le
ciel soit sombre et gris, que nous soyons mouillés par une
drache nationale, rien ne fera changer la décision prise au matin " Tous
aux betteraves ". Mal au dos, mal aux hanches, est le plat du jour.
Le rendement du travail diminue au fur et à
mesure que l'attention de Médor se dirige vers l'élément féminin.
Manneken Pis nous enguirlande bien quelque fois, en criant qu'il a
trouvé des longueurs de deux mètres où il n'y avait plus aucune plante,
mais, nous prétendons qu'il a mal regardé.
Notre cuisinier Robert s'est tout doucement
acclimaté, il commence à bien connaître les environs de la "piaule" et
... notre appétit, il fait des véritables miracles culinaires. Il trouve
des pommes de terre en suffisance, et dire que les huit derniers mois
nous n'en avions plus vu sauf quelques épluchures. Que nous en profitons
ne doit sans doute pas se dire. La ration journalière de pain est fort
petite, cela n'est pas tellement grave, nous mangeons des pommes de
terre trois fois par jour. Le dimanche est un vrai jour de fête, au
dîner des pommes de terre, légumes et un petit morceau de viande. Toutes
ces bonnes choses mélangées en une bouillabaisse dans la casserole nous
font oublier les fatigues de la semaine.
La matinée du dimanche est une demi-journée de
travail fiévreux, nettoyage à fond de la piaule, épluchement de pommes
de terre, casser du bois pour toute la semaine, nettoyage du WC fabriqué
par nous même et tout autre travail qui soulagera notre cuistot pendant
la semaine. Le dimanche est également, pour l'homme de confiance, le
jour de la mise en ordre de la comptabilité du Kommando.
Après les corvées générales, nous attend le
travail personnel tel qu'écrire la carte postale, se laver, soigner la
chaussure, réparer les vêtements, repriser les bas, arranger le sac de
paille, et un tas d'autres choses qui sont intimement liées à la vie
d'un prisonnier en Kommando. Un belge est en général deux fois plus
difficile sur toutes ces choses qu'un français. Quand nos voisins de
l'autre côté de la cour finissent leur travail à onze heures, nous, nous
en avons facilement jusqu'à une heure et parfois plus. La même soirée on
ne voit plus rien de ce grand nettoyage, que voulez-vous, à dix dans une
si petite cahute. La porte est fermée à 21 heures en été et à 20 heures
en hiver. En été nous restons dehors jusqu'à la dernière minute car à
l'intérieur il fait malsain.
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