HAMMERSTEIN VIII
Après la distribution des lettres, vient celle des petits cartons
annonçant aux heureux destinataires l’arrivée d’un colis. Ils pourront
se présenter le lendemain à la baraque de la Poste. Quelle joie immense
mais quelle attente pénible jusqu’au lendemain !
Et voilà finalement, encore quelques minutes, qui, parfois s’éternisent
des heures durant, et il nous sera donné de fumer une bonne cigarette.
Toutes ces bonnes choses qui viennent de Belgique nous font revivre
quelques instants de bonheur immense. On se sent riche, la gamelle et la
besace sous le bras, quand on s’en va vers la poste.
Les prescriptions interdisent de nous remettre l’emballage du colis, il
est donc absolument nécessaire d’emporter un récipient. Au début, la
réception de notre bien se faisait sans grande difficulté. Un des
prisonniers travaillant à la poste, ouvre notre paquet tandis qu’un
censeur allemand sort les objets un par un, pour un contrôle plus ou
moins rapide.
Quelques mois plus tard, cette façon d’opérer change totalement à notre
détriment. Les Belges envoient des objets défendus aux prisonniers et un
contrôle plus sévère est nécessaire… Version allemande. Dorénavant, on
ouvre et on casse tout avant de nous le remettre. Des boîtes contenant
de la confiture, du lait ou de la viande sont ouvertes et leur contenu
est versé dans notre récipient, sur les cigarettes et le chocolat ou le
savon déjà dans le fond de la gamelle. Ils s’amusent les « Chleux » en
observant nos tentatives de séparer ces ingrédients. En toute hâte, nous
regagnons la baraque en essayant de sauver autant que possible toutes
ces bonnes choses qui nous ont été envoyées par les nôtres au prix de
tant de peine.
Déjà depuis notre arrivée des haut-parleurs sont installés le long de
l’année centrale du camp. À des heures régulières, « le Reichsender
Berlin » émet un communiqué. Le succès minime de ces nouvelles auprès
des prisonniers suscite la colère du « Sonderführer », grand chef
politique du camp et notable du parti nazi. Il ordonne aux heures des
communiqués, le rassemblement des Belges le long de la route afin de les
obliger à écouter les communiqués. Peine perdue, car il est impossible
de nous faire taire, et les paroles sortant des haut-parleurs se perdent
dans un ronronnement de plus en plus fort de ces centaines de bouches
fermées !
L’écume à la bouche et les yeux brillants de colère, il nous chasse dans
nos baraques. Vraiment avec ses arriérés il n’y a rien à faire !
Les Allemands, à l’aide de quelques Français, ont créé le « Cercle
Pétain ». Le succès se fait attendre. Nous apprenons même la création
d’un groupement appelé «Nouvelle Europe».
La nouvelle de sa création fut la première et en même temps la dernière
que nous apprîmes de cette «créature».
Pourtant ils font leur possible pour nous faire admettre que l’Allemagne
est le seul pays à défendre la civilisation de nos contrées de l’Ouest !
On nous prétend que l’Angleterre ne cesse de raconter des nouvelles les
plus mensongères et, ce qui est plus cruel, commence par essayer
d’anéantir l’Europe entière en commençant par les femmes et les enfants.
Quant à l’Amérique, et bien eux, ils ne bougeront pas, aussi longtemps
qu’ils n’y voient pas d’intérêt car ce sont des égoïstes !
La France ! Ah ! Ah ! Elle deviendra un grand pays grâce au Führer et à
l’appui de l’Allemagne.
Et voilà le genre de plat qui nous est servi quasi tous les jours, une
fois sous forme d’extraits de journaux, une autre fois à l’aide
d’affiches ou par n’importe quel moyen.
Après le contact entre les unités de la flotte française amarrées dans
le port d’Oran, et la flotte anglaise, nous remarquons un beau matin,
une grande affiche colorée contre le mur de la cuisine. Les motifs
principaux étaient la mer, des bateaux coulants, des marins noyés et un
titre en caractères d’au moins 1 dm : « Français, n’oubliez pas Oran ».
Elle était placée de façon dont il fallait la voir, frappante aux yeux
et puis… À la cuisine où tout le monde devait passer. Sans commentaire
chez les Belges et les Polonais, peu de commentaires chez les Français,
sauf le lendemain quand nous vîmes le mot « Oran » remplacé par «
Hammerstein » !... Hilarité et approbation sur toute la ligne chez les
prisonniers. Colère, menaces et représailles par les Allemands.
Toute la colonie française passe à une demi ration pendant deux jours et
l’affiche disparaît sans tambour ni trompette, une retraite…
Stratégique !
Les Belges, moins souples, plus têtus et certainement moins diplomates
que les Français, font souvent l’objet d’une propagande spéciale.
Figurez-vous, arriérés comme ils sont, ces Belges, ils ne veulent pas
comprendre qu’il faut collaborer c’est triste… !
La civilisation teutonne nous la connaissons, nous la goûtons, nous la
sentons. Au fil du temps nous serons classés comme, « des bornés » et de
« Mauvais Européens ». Comme certificat de bonne conduite, nous en
sommes satisfaits.
Depuis un certain temps, à l’occasion des rassemblements, les Flamands
sont séparés des wallons. Bientôt, la séparation est poussée à un tel
point qu’ils nous font déménager. Ainsi il y a des baraques flamandes et
des baraques wallonnes. Tout cela ne sert à rien car plus d’une fois un
Flamand se présentera devant la commission de rapatriement pourvu des
papiers d’identité d’un camarade Wallon.
Nous recevons des journaux belges, puisqu’ils sont distribués
gratuitement ; il n’est pas difficile de deviner leur but et leur
politique.
Vous décrire ici la réaction des prisonniers flamands à la lecture des
phrases comme : « Le traitement humain de nos chers prisonniers » serait
impossible. Ainsi, nous lisons, à notre grand étonnement, dans un numéro
du 28 février 1941 : « Tous nos jeunes gens sont rentrés en bonne santé
et il n’y a dorénavant plus de Flamands en captivité ! ».
S’il n’y avait plus de Flamands en captivité pour qui, vendus,
envoyez-vous encore pendant des années votre « Volk en Staat » dans les
Stalag ?
C’est tout à l’honneur de ces Flamands d’avoir résisté, peu après, aux
tentations d’une libération moyennant la signature d’un papier qui
aurait pu les classer comme traîtres.
Ces journaux imprimés sous l’œil bienveillant de l’occupant, constituent
le poison qu’on essaye de nous injecter. Une dose encore plus forte nous
est servie par la feuille « Trait d’Union » imprimée en Allemagne, en
langue française, et rédigé par un clan de prisonniers français au
service de l’ennemi, elle est distribuée dans tous les camps et
Kommandos de l’Allemagne. On n’y découvre jamais une prise de position
nette contre les alliés mais tout ce qu’on veut en pro allemand.
Abondamment garni de photos, ce service gratuit de consultation en
matière juridique et autres «avantages» essaye d’attirer des lecteurs et
des sympathisants. Il y a également une chronique belge.
Les manifestations sportives que nous essayons d’organiser avec les
maigres moyens dont nous disposons, y trouvent leur place, malgré nous,
car un photographe allemand vient prendre des photos sans que nous
puissions nous opposer à ce travail commandé par les autorités du camp.
En voilà du matériel de propagande pour prouver que nous sommes…
Heureux !
Distractions et divertissements sont d’une première nécessité dans un
camp de prisonniers. Rien ne pèse plus lourd que de ne rien faire.
Penser est « se casser la tête » se termine toujours par un cafard
monstre et un pénible découragement. La plus simple des distractions est
encore la promenade…
suite
page 9
RETOUR
p.1
p.2
p.3
p.4
p.5
p.6
p.7
p.8
p.9
p.10
p.11
p.12
p.13
p.14
p.15
p.16
p.17
p.18
p.19
p.20
p.21
p.22