HAMMERSTEIN
XVI
Les jours se succèdent en une série interminable. Les hommes du "Besenstrauchkommando"
quittent le camp tous les jours à 07.30 H pour se rendre dans la forêt.
Chaque matin, comme dans un film, les mêmes images se
déroulent devant nos yeux. Nous savons déjà exactement combien de
doubles pas qu'il faut faire entre la gare et la laiterie, combien de
minutes nous marcherons de
la Place du marché
jusqu'à la lisière du bois. Nous savons quel jour se tient le marché à
Hammerstein comme nous savons parfaitement que les mardis et vendredis
il n'y aura pas de viande dans les étalages des bouchers, Nous savons
qu'à tel coin de rue se trouvera un "Schupo" et au retour nous
attendrons devant la barrière du passage à niveau où nous regarderons
bêtement le train pour Neustettin.
Le
gardien qui nous accompagne le lundi sera le même pour les 6 jours de la
semaine. Si c'est une brute nous serons "vu" pour toute la semaine et au
moins 20 fois par jour il nous traitera de tous les noms. Si c'est un
jeune soldat qui n'a pas encore eu son baptême de feu il chargera
soigneusement son fusil et il prendra bien soin de nous faire marcher
tous les dix à une certaine distance devant lui.
Un
indifférent nous est généralement le plus sympathique, lui au moins il
ne nous posera pas des questions bêtes et il nous épargnera la corvée
d'écouter ses explications pas moins bêtes.
Une seule fois nous aurons à faire à un homme digne de ce nom.
Le soldat d'infanterie
Ernst Winter,
dans la vie civile propriétaire d'une petite ferme aux environs de
Stettin.
C'est un homme paisible et de bon coeur. Sensible à tout ce qui pourrait
nous influencer, surtout du côté moral, il essaie de nous rendre des
petits services à chaque occasion. A la seconde journée de sa garde nous
remarquons qu'il porte sa besace. Une fois arrivé dans le bois il nous
rassemble et il vide le contenu sur sa toile de tente. Du pain plein la
besace, tout ce qu'il a pu ramasser au corps de garde, restants de pain,
marmelade et margarine il nous l'apporte. Au fait cela constitue pour
nous plusieurs rations de pain supplémentaires.
Un
beau jour il nous arrête devant un petit magasin. Il y entre en vitesse
et quelques secondes plus tard il en ressort en souriant. Une fois les
dernières maisons du village passées il vient marcher à côté de moi et
me montre un paquet de cigarettes. Voilà, dit-il, maintenant vous
pourrez fumer une cigarette quand nous serons arrivés à destination. Il
réussira à se faire attribuer notre surveillance pendant 3 semaines.
A
chaque départ au matin et en présence du chef de poste, la sentinelle
doit charger son arme. Souvent lorsqu'on rencontre un officier dans le
village, le groupe doit faire halte et le gardien doit montrer son arme.
Malheur à ceux qui oseraient conduire un groupe de prisonniers sans
avoir le fusil chargé !
Depuis la deuxième semaine Ernst Winter décharge son arme devant nous
une fois les dernières maisons d'Hammerstein passées. Il le fait avec un
certain cérémonial en nous disant : "Vous n'êtes pas des assassins non?
Vous vous êtes battus contre nous parce que nous avons attaqué votre
pays. Autant qu'il me sera possible je réparerai ce crime".
Pendant le travail dans le bois il pend son fusil à une branche d'arbre
et se promène à son aise sans s'occuper de nous.
Une fois il dépasse toutes les bornes, quand sa femme est venue lui
rendre visite.
Elle loge à Hammerstein et attend son mari sur le parcours vers la
forêt, elle nous suit à une certaine distance mais une fois dans le bois
elle nous rejoint. Le gardien me remet son fusil en demandant de le
conserver jusque 1100 heures, le moment de se rassembler à la lisière du
bois pour entamer le chemin de retour.
A
nos grands regrets Winter sera remplacé la quatrième semaine par un
véritable Prussien. Cette négligence agréable et ce sentiment de liberté
sont bien vite remplacés par une discipline brutale.
"Bouboule" qui nous
remet tous les jours notre "bon" pour la soupe trouve que c'est une
perte de temps et il change de système. Le lundi nous recevons une série
de 7 billets pour la semaine. Il est tout naturel que nous examinions la
possibilité de tirer un maximum de profit de ces 7 billets. Nous ne
résisterons pas longtemps à la tentation et un certain jour nous
remettons à la cuisine un "bon pour 20 rations" au lieu des 10 de
Bouboule.
Le
surveillant de la cuisine tombe dans le piège, figurez-vous, nous avons
maintenant triple ration. Plusieurs camarades partagent nos rations et
nous parvenons même à en conserver un peu pour le soir. Nous rigolons
pour ce "truc" simple et facile. Et qui découvrira le faux ? Oui, qui ?
Pour la cuisine il n’y a que la signature de Bouboule qui
compte et lui même ne vient jamais à la cuisine, alors ?
Hélas, des belles chansons ne durent pas longtemps. Un beau midi nous
glissons le billet sur la planche du guichet de la cuisine, dans la main
de .... Bouboule. L'engueulade et les 3 jours de cachot pour le
responsable ne se font pas attendre.
Contre toute attente la punition terminée il nous laisse continuer le
travail, avec .... Double ration.
Pendant les mois de mars, avril et mai 1941 la chasse à l'homme dans le
Stalag bat son plein. Les Allemands veulent envoyer en Kommando tous
ceux qui n'ont pas 45 ans, et cela à tout prix. Chacun cherche mille et
une excuses de se soustraire le plus longtemps possible au travail
forcé.
Par nos promenades journalières au bois, on nous laisse provisoirement
la paix.
Nous voyons maintenant tous les jours des petits groupes de
belges et français qui partent vers une destination inconnue.
Le nombre de prisonniers dans le camp diminue visiblement.
Le premier avril, la couche de neige épaisse de
20 cm durcie la nuit
sous une température de 10 degrés sous zéro. Le 18 mai est la première
journée où nous ne trouvons plus de neige dans la forêt. Il est
difficile de se faire une idée de la peine et du chagrin qu'était notre
sort pendant ces longs mois de ce premier hiver en captivité.
Des dizaines de prisonniers ont dû se faire soigner à cause des oreilles
et doigts de pieds gelés. Ces parties du corps devenues blanches ont été
frictionnées d'une matière grasse ce qui constituait à peu près tous les
soins qu'on pouvait espérer.
Le 17 avril 1941 un convoi de 1245 prisonniers
Français arrive à Hammerstein, en pleine
tempête de neige. Ces gars connaîtront deux fois le printemps en 1941,
en effet, à leur départ d'un camp en France le printemps y avait déjà
fait son apparition.
Habitués à la vie dans un camp français, jetés à l1improviste
dans l'enfer Hammerstein, aucun n'échappera à la chasse à l'homme et à
peine trois jours plus tard ils sont tous partis en Kommando.
Des bruits circulent comme quoi bientôt 14000 Yougoslaves arriveront au
Stalag II B.
Aujourd'hui, comme d'habitude, des centaines de morceaux de linge
sèchent au fil de fer barbelé de la clôture intérieure du camp. Jusqu'à
présent il n'était pas défendu de sécher son linge à l'extérieur,
d'ailleurs la seule bonne méthode pour congeler les poux.
Grande est notre surprise lorsqu'on voit des sentinelles s'installer
devant notre linge en nous défendant de l'approcher.
Une corvée de 20 prisonniers armée de pelles et pioches doit creuser une
fosse dans laquelle ils devront jeter le linge.
On
les oblige de recouvrir le tout d'une couche de terre. Décrire nos
sentiments à la vue d'un tel acte de vandalisme, n'est pas possible. Du
linge, déjà si difficile à trouver pour la plupart , envoyé par nos
familles de Belgique, au prix de combien d'efforts, est détruit
cyniquement par une bande de crapuleux, et pourquoi?
Bien simple, parce qu’il leur plaît d'agir ainsi, pour nous mater, pour
nous prouver qu'ils sont les plus forts.
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