STALAG IIB   HAMMERSTEIN,   CZARNE en POLOGNE

CAMP de PRISONNIERS de GUERRE 1939-1945 en POMERANIE

 

MEMOIRES DE L'ADJUDANT  BAERT

 

 

 

 

 

 

HAMMERSTEIN II

 

Nous sentons nous-mêmes que bientôt la situation changera car en effet, des petits groupes se forment, des liens se nouent, des amitiés se créent, la solidarité se renforce. Des idées sont développées et des plans sont discutés. Nous méditons la résistance, voire la vengeance.

Nous ne logeons toujours pas, comme les «  anciens », dans les baraques. Pour quelles raisons ? Nous n'en savons rien. Et pourtant, nous sommes déjà bien acclimatés, désinfectés, les cheveux coupés et soulagés de tout objet de valeur, l'argent inclus. Nous sommes dotés de la plaquette d'identification et notre photo repose bel et bien dans les archives du stalag. Rien à faire, nous restons provisoirement sous les tentes dans le sable de la Poméranie.

Une série de baraquements en construction seront bientôt habitables. De ceux qui sont achevés, il n'y en a plus qu'un seul qu'on sait, pas encore occupé.

Il faut savoir qu’environ 350 hommes trouvent du logement dans une baraque et nous sommes toujours près de 1.200 sous les tentes ! Il est évident que !e commandant du camp, plutôt ses « chiens de chasse » cherchent la solution « idéale » pour eux, c'est à dire envoyer au travail en dehors du camp les trois quarts de notre convoi.

Bientôt le bruit se confirme que tous ceux qui n'ont pas 45 ans, seront envoyés dans les « Arbeits-kommando ».

Me référant à la Convention internationale de Genève, je provoque, avec trois copains, une entrevue avec le «Sonderführer».

—        Genève n'existe plus pour nous, nous sommes les maîtres, vous avez perdu la guerre, lance-t-il dans la figure.

Mais aussi sec un de nous trois répond :

—        Une guerre que l'Allemagne n’a toujours pas gagnée.

Cette réponse provoque une vague de colère chez le Fritz qui s'exprime en une série de malédictions suivies d'un ordre à une sentinelle.

—        Amenez ce « verfluchter Belgier » pour trois jours dans le cachot.

Sans le moindre doute, il nous considère tout bonnement comme des esclaves.

 

Premier dimanche au stalag IIB. Vers neuf heures, il nous est permis d'assister à la messe qui sera dite par un aumônier français sur la plaine à l'extérieur du camp. II suffit de savoir que cette messe aura lieu en dehors des fils de fer barbelés pour comprendre que tout le monde, jusqu'au dernier homme, y assistera. En rangs par cinq, la colonne se met en marche, encadrée d’un nombre respectable de sentinelles armées. Longue de plus d'un kilomètre, les premiers rangs sont déjà sur la plaine quand les derniers n'ont toujours pas quitté le camp. Soudain des coups de sifflet.

Le « Sonderführer » ordonne le pas de course aux premiers arrivés.

Bientôt la colonne en courant contourne l'immense plaine jusqu'au moment où le dernier a franchi l'entrée de l'espace où nous allions pour assister à la messe ! Quelques exercices de « couché debout » complètent la cochonnerie et finalement le prêtre reçoit l'autorisation de commencer sa messe. Flanqué d'un interprète allemand et de deux sentinelles, l'aumônier récite des prières pour ces milliers d'hommes qui le regardent en silence et recueillis. Tête nue, d'une piété touchante, ils suivent les mouvements du prêtre. Il n'est pas difficile de deviner leurs pensées, là-bas, chez eux, dans leur ville ou village, on dit sans doute aussi la messe à cette heure, on prie pour eux, oui, ils en sont convaincus.

Des sentinelles allemandes choisissent les moments les plus recueillis pour hurler des ordres et des menaces. Vraiment la civilisation qu'ils nous prêchent tout le temps n'a plus besoin d'autres exemples pour convaincre le plus hésitant !

Après cet exercice religieux suit celui du « Sonderführer ». Courir, se coucher, se relever et encore courir. Tout cela au ton de hurlements car les barbares désirent se surpasser en brutalité devant leur chef.

Comme un immense troupeau de bétail, entouré de cow-boys, nous sommes poussés vers la gueule de cette bête préhistorique qu'est la porte d'entrée du camp. Une fois de plus, elle s'ouvre, puis se referme derrière nous dans un grincement sinistre.

Pendant notre absence nos « protecteurs » n'ont pas trouvé mieux que de retourner toutes nos affaires et, bien entendu, de voler tout objet qui en valait la peine. Des valises forcées, des havresacs ouverts, le contenu éparpillé par terre. Nos protestations restent sans résultat.

Lundi 16 septembre. Nous recevons une carte imprimée nous permettant de donner de nos nouvelles à nos familles ou tout au moins de leur faire savoir que nous sommes en vie. « Je suis en captivité au stalag IIB, numéro... et en bonne santé. » Laconiques, certes, mais ces quelques mots apporteront certainement une grande consolation dans le cœur de ceux qui vivent anxieux depuis de longs mois.

Nous apprenons le lendemain qu'on s'occupe activement de dresser les listes des équipes qui seront envoyées dans les « Kommandos ». Il est de toute évidence que chacun de nous essayera de se soustraire le plus longtemps possible à la vie de bagnard dans des  « Kommandos », dont on ne raconte rien de bon. C'est à cette occasion que l'ingéniosité et la ruse, qui seront plus tard les caractéristiques du prisonnier, entrent pour la première fois dans notre vie quotidienne.

Malgré la « défense » d'entrer dans les baraques de prisonniers d'autres nationalités, nous passons outre à cette interdiction. Nous sommes des copains, des amis, bien que nous ne parlions pas la même langue, Que nous n'ayons pas les mêmes mœurs et coutumes, nous avons cependant quelque chose de commun, quelque chose de grave : notre haine des Allemands.

Ce sentiment commun fait le lien entre nous tous. Il est à la base de ce qui sera une communauté fermée et une amitié à toute épreuve. Ce sentiment créera une camaraderie et une compréhension meilleures et plus vite qu'aucun diplomate n'aura jamais réussi à le faire. Que nous nous trouvions chez les Français ou chez les Algériens, Marocains ou Sénégalais, que ce soit chez les Polonais ou les Russes blancs, combattant avec l'armée polonaise, partout nous sommes admis en amis. Les Spahis et les Zouaves deviennent nos véritables copains, de même que les Yougoslaves, et plus tard les Anglais et les Américains.

Bien sûr, les anciens remarquent de suite que vous êtes nouveau mais un clin d'œil et une tape à l'épaule vous mettent immédiatement à l'aise. Personne ne doit le dire mais on le sent « un pour tous et tous pour un ». Serviabilité et fraternité ne sont pas simplement des notions parmi les prisonniers, mais des réalités sincères et profondément senties. Derrière les barbelés tout est réparti et partagé, l'individu n'aura pas faim, la communauté bien.

Il est certain qu'ici comme ailleurs il y a des brebis galeuses. Dans un but politique où tout bonnement par peur ou par lâcheté, il en est qui se mettent au service de l'ennemi et qui ne reculent pas devant l'acte « répugnable » et lâche de trahison envers leurs frères d'armes. Ils vont même jusqu'à faire des platitudes devant les Allemands en se présentant comme volontaires pour des travaux dans le camp. Détestables fripouilles, heureusement en minime quantité.

Pendant ces jours de septembre, une commission soi-disant belgo allemande fait son apparition au stalag IIB. Elle a comme mission de séparer les Flamands des Wallons afin d'établir les listes de rapatriement au profit des premiers. Un sujet belge, le nommé H..., flanqué de deux « Schleux », se charge de ce travail. Les brebis galeuses, une dizaine environ, se mettent à la disposition de ce renégat et une fois encore, Ils gagneront les trente deniers... peut être même leur rapatriement, en trahissant bassement ceux qui essaient de se faufiler entre les mailles du filet. Dans la « Kartei » où se déroule cette sinistre opération nous assistons à des scènes pénibles chaque fois qu'un militaire de carrière, refusé d'office pour le rapatriement, risque sa chance en se faisant passer comme comptable, facteur, forgeron ou autre métier quelconque. Vendu par un des Judas, il sera traîné au cachot. Il paie son audace par un nombre respectable de coups de crosse et de botte.

Le départ en « Kommando » bat son plein. On les voit partir, les malheureux, par petits groupes de 5, de 10 ou de 20. Encadrés de deux sentinelles, ce qui leur reste de bagages sous le bras ou sur le dos, ils se dirigent vers la sortie. Cette sortie qui pour eux n'a rien de joyeux mais n'est autre qu'une entrée dans le monde des condamnés aux travaux forcés. Bientôt, ils seront à destination, dans les champs, dans les mines de sel, dans les forêts, sur les routes, dans les marais.

A chaque heure le « Feldwebel » fait son apparition, porteur de nouvelles listes de numéros. A chaque heure des copains nous quittent. Bonne chance les amis, maintenant à vous, tantôt à nous.

Le 18 septembre le nombre d'occupants des tentes a diminué de plus de la moitié. Les 500 rescapés provisoirement doivent s'installer dans deux baraques. La baraque 22 sera dorénavant, peut-être seulement pour quelques heures, notre demeure. Elle est partagée en deux parties dont chacune comporte environ 500 couchettes à trois étages. Un petit local qui devait servir de lavoir sépare les deux demi - baraques. En général toutes ces baraques sont surpeuplées, souvent le nombre d'occupants atteint les 400, voire même les 500.

L'espace libre entre les couchettes et les fenêtres doit permettre à une cinquantaine de prisonniers de s'asseoir, et encore, ce couloir est divisé en plusieurs petites places par autant de cloisons de bois.

Nous ne tarderons pas à comprendre l'utilité de ces cloisons, lorsqu'on fait la « chasse à l'homme ». En effet il est très difficile d'entourer à l'intérieur de la baraque un pourchassé de telle façon qu'il soit invisible pour les Allemands.

Dans chaque partie d'un baraquement se trouve un feu, un four bâti en briques. Il nous prouve qu'éventuellement on pourrait y faire du feu.

Les carcasses des couchettes dont le premier étage se trouve à environ 30 cm au dessus des pavés et le troisième à plus ou moins 2,30 m, portent une paillasse en papier, contenant une poignée de paille dont l'épaisseur ne sera plus que de deux centimètres après quelques nuits. Cinq fenêtres permettent l'aération et... peut-être autre chose aussi  !

 

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