HAMMERSTEIN
XIV
Un " Minuit Chrétien " comme il résonnait la nuit de Noël 1940 au camp
d'Hammerstein, nous ne l'entendrons plus jamais.
Une masse de prisonniers se serre à l'intérieur de la baraque
transformée en Chapelle, ils avancent jusqu'au pied de l'autel primitif.
Dehors, une masse plus compacte encore se colle contre les parois de la
baraque.
Un petit vent de l'Est, entraînant une neige fine, nous coupe la peau de
la figure et les oreilles. Malgré cela nous restons immobiles, une heure
entière, l'âme en émotion, rêvant et priant. Pas un seul de ces
centaines de malheureux ne se rend compte qu'il est à Hammerstein,
enfermé entre des murs de barbelés, pas un seul n'a faim, pas un seul
n'a froid. Dans ces figures pâles brillent des yeux qui jouissent d'une
vision ....
Là bas, en Belgique, en France, en Pologne, où les gens se dirigent vers
l'Eglise, vers la messe de minuit.
Ces êtres chers vont prier pour nous, les absents. Tantôt, après la
messe, et demain à la table de Noël une place restera inoccupée et les
enfants demanderont une fois de plus : " Maman, quand reverrons-nous
notre papa ? " Sans conviction elle répondra " Bientôt ".
L'Aumônier français qui célèbre la Messe essaie par quelques mots
réconfortants de chasser le fantôme du cafard. Inutile, d'ailleurs
impossible, ces minutes sont trop belles pour ne pas se laisser bercer
sur les vagues des souvenirs si doux. Souvenir d'un passé heureux, des
Fêtes de Noël de jadis.
Traînant nous retournons dans nos baraques où la réalité brutale
s'impose à nouveau. Cette réalité qui, maintenant, pèse plus lourde que
jamais.
" Les extrêmes se touchent " car Hitler et sa bande n'ont jamais été si
profondément maudits qu'après ces heures de piété lors de cette nuit
Sainte.
Plus que jamais la douleur morale nous fait grincer les dents le restant
de cette nuit froide.
Demain, mercredi 1er Janvier 1941, jour de l'An et en même temps mon
trentième anniversaire ! Une nouvelle Année qui nous donne un nouvel
espoir car, plus mauvaise que celle qui vient de se terminer, serait
inimaginable.
Il est 7 heures quand les premiers se lèvent. Nous entendons le vent
siffler le long des parois de la baraque.
" Hallo, Jef, une bonne Année sais-tu "
" Merci et autant pour toi " - "Staf, Vitten, Pol, à tous une bonne et
heureuse! "
Ce ne sera nom de...elle ne sera quand même pas plus mauvaise que celle
qui vient de passer, non ".
Et ainsi se passent les premières heures de 1941, de baraque en baraque,
chez les Français, les Polonais et les Belges.
Il arrive que notre ration de pain soit remplacée par un sachet de
biscuits, ces petits carrés, durs comme des cailloux. Une ration comme
on en distribue aux troupes lorsque le ravitaillement ordinaire fait
défaut. La ration comprend de 35 à 40 de ces petites pierres. On a
l’impression qu'elle est de loin inférieure aux deux ou trois tranches
de pain des autres jours, quoique la valeur nutritive est sans doute
supérieure à celle du pain du Stalag. A la distribution les biscuits
sont trempés dans le thé ou le café. Quelques heures plus tard ils
seront gonflés jusqu'au point d'atteindre trois fois leur volume
ordinaire. Avec précaution nous les repêcherons pour les cuire
légèrement sur un morceau de tôle. Et ainsi nous avons l'impression
d'avoir une triple ration.
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