1939
1er
mars 1939 Rappel sous les drapeaux
Le 1er mars
1939, un télégramme me rappelle à la caserne. Je rejoins Clermont avec
mes copains du pays. On forme de nouvelles batteries; des réservistes
affluent. Du matériel civil est réquisitionné : voitures, camions.
On m’affecte une
camionnette 404 pour transporter les postes radio. Les usines tournent
à plein. On nous livre des camions- gep- tracteurs.
Le mois d’août, beaucoup
de réservistes sont mobilisés, des chevaux, etc...
Fin août, ordre est donné
de se préparer pour rejoindre l’Est, les colonnes sont formées.
Départ pour l’Est
Le 28 août, on démarre
direction Riom, Moulins. Au passage, des femmes venaient voir si elles
pouvaient retrouver leurs maris rappelés. Beaucoup pleuraient. Elles
disaient qu’avec cette aviation ce serait la fin du monde. Ce n’a pas
été la fin du monde, mais 30 millions de soldats et 30 millions de
civils ont été tués ou disparus.
Carte postale envoyée le 1er
septembre 1939 de Semur-en-Auxois
Semur en-Auxoi le 1-9-39
Bien chère Maman,
frères et sœurs,
Ont
vient de quiter Lempdes depuis deux jours. Hier soir ont a couché à
Bourbon Lancy près Moulins. Nous marchons sur route, il y a une colone
de véhicules de 20 km, se soir ont vient d’arriver à Semur-en-Auxoi,
département de cote d’or. à prèt-demain ont se dirige dans les Voges,
pour renforcer les frontières. vous avez sertainement apris qu’il y
avait mobilisation générale mai ne vous frapez pas pour cela, le moral
est tres bon et ont croit jamais à la guerre. Vous me donnerai toutes
les nouvelles, de Marcel et Henri.
Adresse :
Rieucau G. 10ème Bat 16ème RADA secteur Postal
114è. La franchise est gratuite.
Après une halte, nous
continuons la route : La Côte d’Or en Bourgogne, Savonnières,
Guéblange-lès-Dieuze en Moselle. Le lendemain , après
ravitaillement, nous arrivons dans l’Est : Nancy, Château-Salins,
Rohrbach, Sarreguemines, où notre 25ème Division (25 000
hommes) s’installe sur la frontière allemande.
2 septembre
1939 Déclaration de guerre
Nous sommes au 2
septembre 1939. La guerre vient de se déclarer. Je venais d’accomplir
mon trente deuxième mois de régiment.
LA GUERRE
Sur la frontière, les gens avaient été
évacués aussi bien chez nous que du côté allemand sur 20 kilomètres.
Les gens fuyaient le baluchon sur le dos. Il restait encore beaucoup de
matériel, de mobilier et de volailles que les soldats
saccageaient ; le linge partait dans les granges pour
coucher ; les lapins passaient à la casserole, à moitié gaspillés.
Les Allemands avaient de leur côté tout miné, les portes extérieures
des maisons, etc… Il y a eu pas mal d’incidents, mains arrachées ou
brûlures au visage. Nous les avons bombardé quelques heures, mais ils
ne nous ont presque pas riposté.
La guerre avait vraiment commencé
Le 4 septembre, 2ème jour de
guerre, mon Commandant « Monnier » de Clermont, en allant
repérer pour installer une batterie, traverse un petit pont miné…La
voiture a été déchiquetée et le Commandant et le chauffeur avec !
La guerre avait commencé.
L’armée allemande était rentrée en Pologne
et nous laissait tranquilles. Quelques avions nous survolaient de temps
en temps. Ils nous lançaient des tracts disant que les soldats anglais
s’amusaient au bal avec nos femmes et nous trahissaient.
Lettre du 8 octobre 1939
sur papier à lettres du 3è Rt de HUSSARDS alors à Rohrbach (Bas-Rhin)
Dimanche 8 octobre 1939
Bien chère Maman et toute la famille,
Je viens de recevoir deux lettre, la
dernière était datée du 1er oct sa fait 8 jours de route, sa
commence tout de même à mieu aller à présent. J’ai l’adresse de Marcel
et je vais lui écrire pour avoir ses nouvelles. Vous êtes tous en bonne
santée. s’est déjà une bonne chose. Vous dites que les vendanges
commence à s’appréter. Je voudrais bien y participer, mais
malheuresement je suis trop loing. Je crois pas avoir de permitions
tout de suite : car même qu’ont soit en arrière de 40 kmètres, ont
fait partir des troupes défenssives de renfort et jusqu’à présent Notre
batterie et pour inssi dire au repos, car toute les autres batterie
sont repartie pour la deuxième fois sur le front ; mes pour avoir
des permissions il faut attendre qu’une autre division nous remplace et
que tout le Régiment revienne en arrière pour prendre le repos, à ce
moment la, nous aurrons des permissions. Et comme jusqu’à présent ont
est tranquille et à l’abrit, ont peut rien dire, ont demande qu’à y
rester, et probablement qu’ont y passera encore un mois et plus, ont
est dans un petit village, Lorentzen au environ de Rohrbak dans le
Bas-Rhin ; chaque soir nous allons à Eglise du village faire la
prière en commun et chanter, yer soir ont à confessé avec des prêtres
militaires pour communier et aujourd’hui Dimanche ont à eu 3 messe. ont
est dans les derniers villages où les paysants n’ont pas évacué. la
semaine nous allons leurs aider à ramaser les légumes, ils ont beaucoup
de prûnes de paûmes pour faire du cidre, et font aussi beaucoup
d’alcol, mais ils n’ont pas de vignes, aussi ils ne boivent pas du vin,
d’abord le litre de vin coûte 8 f, allors ils se boit que de la bière.
yer je suis allé avec la voiture vert la frontière chercher des paûmes
de terre et des légumes. ont va dans les champs et les jardins, comme
ont veut. Il vaut mieu en profiter pour le moment, car l’hivert il va
perir beaucoup de choses, ses bien malheureu pour ses pauvres paysants
d’avoir tout abandonné dans les maisons, ont trouvent les armoires
pleine de linge et tout les ûstanssiles, ils n’ont pas eu le temps de
prendre même le principal, ils les avertissé juste quelques heures
avant de les embarquer et ils étaient obligé de tout abandonner, ses
malheur pour nous, s’est encore plus malheureu pour eux, car toute la
famille a été obligé de quitter leur bien. Seux qui ont de l’argent sa
va, mes les autres sont obligé de travailler dans les fermes chez les
autres et obligé de se contenter avec peu et rien dire, enfin il faut
esperer que sa sarrangera au plus tot, et pour le mien. Quand a Marcel
puis qu’il est toujours en bas, il devrai se demérder pour avoir des
permission ainsi que Henri, du moment qu’il y en à pour ceux qui sont
en arrière. Ils réûssiront sertainement une aussi pour faire le blé ou
ramasser les vendanges. Quand notre division reculera je me démerderai
pour venir mes pour l’instant y a rien a faire, le bonjour à tous bonne
santée je vous embrasse bien fort. Rieucau Gabriel
16è RADA 10èm Bat A6. secteur postal 114
J’ai trouvé des papier
dans les dernière lettres. Pour l’instant j’en ai assé. Gardé le pour
plus tard quand je pourai pas en trouver.
Un mois passé, nous avons été relevés et
sommes partis - Metz, Sedan, Charleville-Mézières - pour une halte de
quelques semaines. Nous donnions un coup de main aux paysans qui le
demandaient.
En novembre, nous nous sommes rendus dans le Nord - Pas
de Calais : Cambrai, Arras, Béthune. Nous avons cantonné à
Audruicq , Hennuin pour mon groupe ! Les paysans n’avaient pas
fini de récolter la betterave à sucre et la chicorée ; on a eu
ordre de prêter la main à ceux qui le demandaient. Moi et mon copain
Laury de Saint-Julien qui était venu rejoindre le groupe, on s’est
embauchés chez des paysans. On a gagné quelques sous pour améliorer
l’ordinaire. Mon copain, Albert Laury, a fait connaissance d’une fille
du paysan ; ils ont continué à se donner des nouvelles, et de
retour de captivité, ils se sont mariés.
Noël 1939 à la maison
A la Noël 39, je suis venu passer quelques
jours à Saint-Julien. Dans les trains, tous les carreaux avaient été
cassés par les réservistes ; il faisait très froid. Quand je suis
arrivé à la maison, je ne pouvais plus parler. Je vais voir le Docteur
Rieucau qui me fait rentrer à « l’hosto » (pour) quelques
jours, 8 jours de « convalo » et il fallait repartir. C’était
la guerre.
1940
Cet hiver a été très froid, le vin gelait
dans les barriques, le pain aussi. Il fallait s’approvisionner en bois
car les nuits étaient froides. Au printemps, on a continué d’aider les
paysans. On se demandait ce qui allait se passer, s’ils arriveraient à
trouver la paix ou la guerre.
La grande
offensive du 10 mai 40
La nuit du 9 au 10 mai 40, les avions
allemands sont venus bombarder tous nos camps d’aviation et les avions
dans les hangars. L’armée allemande s’était introduite en Hollande et
en Belgique.
En route vers la Belgique et la
Hollande
Aussitôt, l’ordre est arrivé pour se porter
au secours de la Belgique et de la Hollande. Nous recevons l’itinéraire
pour Breda en Hollande. Nous démarrons de nuit, tous feux éteints. Le
matin nous arrivons à Anvers Belgique. Les routes étaient encombrées de
chevaux et de gens avec le baluchon sur le dos. Les avions allemands
avaient bombardé des quartiers de villes, des routes. Nous avons
continué notre route. Vers midi, pas loin de la Hollande, on casse la
croûte.
Les avions allemands attaquent
A peine terminé, une vague d’avions arrive.
Des Allemands. On fuit dans un bois à côté. Moi, derrière un sapin. Un
éclat me frôle la poitrine, quelques gouttes de sang, c’est tout.
Revenus sur la route, les deux cuisiniers
étaient morts, le village anéanti. La plus proche maison où on avait
cantonné a été engloutie avec 9 enfants et les parents. Notre matériel
est détruit, pneus crevés, vitres cassées. Nous réparons au plus vite
et nous continuons ; quelques camions- citernes venaient de nous
rejoindre pour nous ravitailler. A la tombée de la nuit, sur la
frontière hollandaise, une autre vague d’avions est venue détruire
toute notre essence. Il nous restait le bidon de 50 litres à chaque
véhicule. Pour être plus tranquilles, nous avons couché dans les prés.
Les vaches qui n’étaient pas « traites », meuglaient. Deux
jours après la fièvre les a gagnées et elles tombaient comme des
mouches. L’armée allemande allumait des feux la nuit pour démoraliser
les civils. L’armée hollandaise et belge partait en déroute.
Ne pouvant tenir, l’ordre est venu de
reculer de 100 kilomètres. Sitôt remis en position, d’autres avions
arrivent. Voyant un tas de branches, je me couche dessous. Une petite
bombe tombe de l’autre côté, les branches se soulèvent, la terre me
recouvre et je me trouve au bord du trou, sans une égratignure, (encore
une chance).
Retour en France vers Cambrai
Voyant que nous étions toujours matraqués et
qu’aucun avion français venait nous défendre, le moral baissait,
l’armée était désorganisée. Le ravitaillement ne suivait pas. Obligés
de retourner en France. Mais les routes encombrées par les civils qui
fuyaient, nous retardaient. Enfin nous prenons position sur le canal
Douai - Cambrai au village de Inlanglan près de Féchain.
Le deuxième jour, en descendant le canal
bordé d’arbres, j’entends de l’autre côté quelques balles de
mitraillette siffler dans les arbres. Voyant un cabanon derrière un
mur, je saute à l’intérieur. Des balles à nouveau sifflent dans le mur,
me trouant la veste qui flottait. C’était des civils allemands
parachutés pour nous démoraliser. Une heure après, je reviens au
quartier et raconte ce qui s’était passé. Le lendemain, le Commandant
envoie un groupe de motards et de side-cars voir ce qui se passait de
l’autre côté du canal. Ils sont tombés sur un groupe d’une compagnie
allemande qui ont tiré sur eux avec des balles explosives qui mettaient
le feu aux réservoirs d’essence. Les motards ont été tués et
carbonisés.
Protéger Dunkerque et les Anglais
3 à 400 000 Anglais étaient parmi nous. Les
chefs voyant que nous ne résistions pas et que la France serait
occupée, envahie, décident de réembarquer à Dunkerque pour
l’Angleterre. Et notre Division fut concentrée dans la région de Lille
pour ralentir les Allemands et laisser le temps aux Anglais
d’embarquer, ainsi sauvés en grand nombre. Arrivés à Armentières à la
tombée de la nuit, nous faisons halte. Sitôt descendus, des balles
sifflent sur la route. On saute dans les fossés et nous attendons la
nuit. Quand tout a été calme, on a pris position aux alentours de
Lille-Loos. Le Général nous a fait défendre jusqu’au bout des
munitions. Il y a eu des morts. Le 28 mai, un canon de 75 a éclaté
tuant les 4 servants de ma batterie.
Fait prisonnier le 31 mai 1940
Le 31 mai, nous sommes encerclés et nous
voyant prisonniers, nous brûlons les livrets militaires, les officiers
leurs plans, nous hissons des drapeaux blancs, signe qu’on ne tire
plus, et rassemblons toutes les armes. Vers 3 h de l’après-midi, les
Allemands nous font rendre les fusils et tout l’armement. Ils nous
enferment dans l’usine Kuhlman à Loos. D’autres sont dans des parcs
gardés à la mitrailleuse. Au bout de 48 heures, nous étions des
milliers de prisonniers, Les Anglais avaient pu embarquer.
Neuf mois de guerre se terminaient mais un
nouveau calvaire commençait.
LA CAPTIVITE
A pied vers l’Allemagne
Deux jours après, de bon matin, en colonnes
sur 6, nous démarrons direction la Belgique. - Ordre de ne pas sortir
des rangs sous peine de mort -. C’est arrivé à quelques uns. Des
soldats armés nous accompagnaient à pied, en plus des policiers de
l’armée à cheval longeaient la colonne. Ce dimanche, il faisait chaud.
Quand on trouvait des fontaines, ils nous laissaient remplir la gourde
et c’est tout. Le soir tard, on arrive à Nivelle, pas loin de
l’Allemagne - Lille - Nivelles 80 km. Dans un pré entouré de
mitrailleuses, on se couche fatigués. Dans la nuit, un orage nous a
rafraîchis. Au matin ,on a droit à un jus noir et on reprend la route
dans la journée. Arrivés en Allemagne, on nous campe en Westphalie dans
des baraquements. On pèle des pommes de terre pour faire la soupe. On
avait faim et, des fois, en cachette, on avalait quelques morceaux,
mais bientôt l’estomac se tortillait – crue, la pomme de terre est
acide et ça nous faisait mal -. Le soir, nous avons avalé notre soupe
et un morceau de pain noir moisi.
Dans des wagons à bestiaux
Le jour suivant, à quelques centaines, nous
embarquons dans des wagons à bestiaux, 70 par wagon, serrés à se tenir
debout ou à genoux, un petit coin réservé pour faire ses besoins ;
on était pire que des bêtes ; pendant 3 jours et 3 nuits, fermés à
clef. Une fois par jour, ils nous remplissent la gourde pour boire,
sans manger, et stationnés des journées au soleil pour laisser passer
les convois pour la guerre.
Au bout du 3ème jour, le train s’arrête.
C’était la ville de Stargard
- 120 km à l’est de
Berlin. On ouvre les portes et nous descendons. Les gardiens, vieux
soldats qui nous accompagnaient, poussaient des cris « Los, los,
chnel, chnel », c’est-à-dire « vite, vite, plus vite
marcher ». Ils nous conduisent dans un grand camp militaire pour
recenser les prisonniers, fatigués, les jambes engourdies et le ventre
vide après 3 jours et 3 nuits coincés dans les wagons sans rien manger.
Dans le camp, on a mangé une gamelle de soupe et touché un morceau de
pain noir. Les officiers ont fait appeler tous les Français qui
parlaient l’allemand ; beaucoup étaient des Alsaciens et Lorrains
qui nous ont questionné sur notre métier et donné une plaquette pour
prendre sur la poitrine avec chacun son numéro. Le nom ne compte plus,
cheveux rasés, nous étions de vrais prisonniers, une plaque de fer
pendue au cou. Deux fois par jour, on mange la soupe de pommes de terre
et le morceau de pain noir. Au bout de 8 jours, on nous compte à 50,
direction la gare pour embarquer. Nous parcourons une centaine de
kilomètres, on descend à Pyritz ( Pyrzyce ),
région de Stettin.
Dans une ferme de 1000 hectares
le 15 juin 1940 en Poméranie
Encore un kilomètre à pied, on arrive à
Plonzig. A l’entrée du village, l’instituteur et une quinzaine d’élèves
chantaient : « La France, notre ennemi numéro 1 - Ils nous
ont déclaré la guerre - Ils seront nos esclaves ». Parmi nous, un
Alsacien nous servait d’interprète. Le village comptait une dizaine de
maisons et une grosse ferme de 1000 hectares. On nous a remisés dans un
grenier : un mètre d’espace à chacun, couchés côte à côte sur de
la paille, une couverture, fermé à clef, surveillé par un vieux soldat
avec un fusil. Trois fois par jour : de la soupe, un morceau de
pain noir, de la graisse et saucisse de sang.
La ferme était passée sous le régime
d’Hitler, dirigée par deux techniciens, le premier pour le travail,
l’autre pour la comptabilité, et au-dessous, cinq contremaîtres qui
venaient nous prendre suivant le travail à faire. Le matin à 7 h, les
contremaîtres se rendaient au bureau prendre les ordres. Le soir
terminé, ils rendaient compte du travail fait.
Le paysan raconte…
On comptait 200 hectares de pommes de terre,
200 hectares de betteraves à sucre, 50 hectares pour les bêtes - vaches
et brebis -, 20 hectares de petits pois, 400 hectares de céréales -
blé, orge, avoine, peu de foin -. Les vaches sont nourries toute
l’année dedans ; un vacher et 4 aides s’en occupaient.
On était au 15 juin 1940. Il y avait 4
tracteurs - 2 à chenilles et 2 sur pneus -, une moissonneuse-batteuse,
35 couples de chevaux. Les champs faisaient 300 hectares. Chaque
tracteur à chenilles tirait 5 à 6 socs et labourait 20 hectares. Chaque
tracteur traînait 2 lieuses, chacune actionnée par lui-même. Les
courtes pailles étaient fauchées à la moissonneuse-batteuse. Dans
chaque champ, il y avait un grand hangar que l’on remplissait de gerbes
à la moisson ; l’hiver, au temps de neige, on dépiquait. En
septembre - octobre, on arrachait les pommes de terre qu’on mettait en
silo dans un champ. On les distillait pour en tirer l’alcool qui
servait de carburant pour les tracteurs, le reste pour nourrir des
cochons. En novembre - décembre, on arrachait la betterave qu’on
entassait sur le bord des routes et que les camions de l’usine venaient
chercher. Les vaches étaient nourries l’été à la luzerne, l’hiver,
c’était betterave, paille hachée et foin, et de même pour les brebis.
Le châtelain recevait un fermage de l’Etat
et avait droit à la chasse. Les enfants venaient des fois en cachette
nous parler ; ils parlaient très bien le français et avaient
visité la France. Les jeunes étaient obligés de faire des stages, ceux
des villes à la campagne, ceux des campagnes en ville. Ils se rendaient
compte des avantages et des inconvénients qu’il y avait.
Dans les grandes fermes, l’heure était
appliquée, mais il fallait faire des heures supplémentaires pour
rentrer les récoltes en cas d’intempéries. Quand la neige restait
longtemps, deux mois et plus, on plaçait des traîneaux à la place des
roues et on étendait le fumier sur la neige. On dépiquait, on coupait
des roseaux sur la glace sur de grands étangs ; ça servait à
couvrir les granges en montagne.
Vivre comme des esclaves
On ne comprenait pas la langue, le temps
nous paraissait long. Ils nous narguaient tout le temps comme des
esclaves. Aussi 80% d’entre nous serions repartis pour nous battre
contre eux. A cette époque, nous étions 1800000 prisonniers français en
Allemagne. Si une telle période se renouvelait, je conseillerais de
tout tenter pour échapper à l’ennemi car c’est douloureux, pénible pour
un civilisé de passer dans l’esclavage.
Les chefs, les dirigeants, étaient les seuls
à chasser. 4 chasses étaient organisées, 2 en décembre, 2 en janvier.
Ils nous prenaient une vingtaine, un bâton à la main, à 10 mètres de
distance l’un de l’autre. Il fallait battre le bois pour faire sortir
le gibier. En avant, les chasseurs tiraient et tuaient. Une remorque
suivait pour transporter le tout : une quarantaine de lièvres,
autant de faisans, des renards, des sangliers et des chevreuils en
janvier. On revenait chaque fois avec une pleine remorque, chaque
villageois avait droit à un lot en le payant. Le reste pour les
hôpitaux, soi-disant. Il nous fallait nous contenter avec les yeux et
toujours la même soupe de pommes de terre et pois cassés, et quelques
couennes, sans jamais goûter un morceau de viande de l’année. L’armée
mobilisait de plus en plus, vieux et jeunes, et on sentait qu’ils
avaient besoin de nous pour continuer à produire. Et la population
s’affranchissait. Les vieux et les femmes valides venaient travailler
quand les récoltes pressaient. Ils étaient très organisés, bien
outillés et disciplinés. L’eau coulait partout à la maison avec étables
pour les bêtes. Chaque maison avait son poste radio, alors que chez
nous, c’était un par village. Le samedi était consacré à mettre de
l’ordre, nettoyer les cours des fermes, devant les maisons ; la
jeunesse se rassemblait au canton pour faire du sport et assister à des
conférences.
1941
Lettre expédiée le 16 juin 1941 du Stalag II-D – Stargard Poméranie
Chère Maman et Tous,
Aujourd’hui fête de
Pentecôte, belle journée plutot chaude dans ce petit camp, ou ont est
si nombreux. le matin nous avons eu une Messe comme chaque Dimanche
(par un prêtre prisonnier): demain ont travaille pas, nous autres 10
copins ensembles ont travaille sur une ligne à recharger la voie ;
un autres grand nombres travaillent sur l’autostrasse, une route de
plus de 30 mètres de large, c’est beau à voir, les autres travaillent
dans des fermes environnantes et reviennent le soir coucher ; il
sont en train de planter les pommes de terres ; les autres
récoltes sont très belles ; la vie est toujours normale et point
dérangée : quand à Nous le retour a vous devient long, mes ont
garde toujours bon courrage, car la vie nous à été préservé c’est déjà
beaucoup, et le retour si prompt de tous, n’est pas possible ;
sans de Nouveaux événements nous sommes pas sans travail. Etant si
nombreux la portion est juste : envoyez sans acheter des choses
que vous avez à la maison jambon, graisse, fromage, des nois et bien
pliez tout arrivent en bon état ; yçi ont à pas le droit
d’acheter, l’argent qu’on gagne ont l’aurra pour plutard. Vous mettrez
une paire de pantalon pour se changer en ca d’être mouillé ;
espérons à un meilleur avenir. Gabriel
Guerre en
Russie L’avancée allemande
Le 22 juin 41, Hitler attaque la Russie. Depuis septembre 39, la Pologne
était occupée par les Allemands et les Russes avaient beaucoup d’armées
en Ukraine. En l’espace de 6 mois, les Allemands capturent une bonne
partie de cette armée, 15 000 avions et autant de tanks. Les allemands
arrivent aux portes de Moscou, la capitale. Ils font beaucoup de
prisonniers et déportent pas mal de civils pour le travail en
Allemagne, mais, l’hiver arrivé, ils sont stoppés. Routes enneigées et
gel, le ravitaillement n’arrive plus. Les Russes se ressaisissent,
Staline mobilise tous les valides, les jeunes gens des écoles.
Arrivée des prisonniers russes
Les prisonniers russes sont arrivés dans les
camps épuisés par la marche à pied ou la faim.
Au camp d’Hammerstein Stalag II B
(Poméranie) où j’étais de passage, 15 000 arrivants ont contacté le
typhus. Chaque matin, une centaine de morts, d’autres ne pouvant plus
se lever, ils chargeaient le tout sur des charrettes qu’ils allaient
déverser dans des tranchées, les bras et les jambes remuaient, enterrés
à moitié morts. Les Russes ont alors occupé les grands ateliers et
nous, les Français, nous sommes allés chez les paysans et les artisans.
Au camp de la mort
Moi et une dizaine de copains avons rejoint
un camp sur le tracé d’une autoroute de 32 m de large dans la région de
Stettin direction la Hollande via Kummerow. Chaque 10 km, campaient 400
prisonniers pour aménager 5 km de chaque côté et entretenir une voie
ferrée. Le matin, après un bouillon, on mettait 5 à 6 pommes de terre
cuites pour midi, une tartine de graisse, et le soir, à la nuit, il
fallait se taper des jours 4 à 5 km pour rentrer au camp. Le temps nous
paraissait long et pas d’horizon pour notre captivité. Mais je gardais
toujours espoir, quelques nouvelles de la famille, de France nous
remontaient le moral, mais des fois, il descendait bas.
Ces camps étaient appelés camps de la mort
par épuisement. Moi, j’ai eu de la chance de m’en sortir ; sans
cela, je ne serais pas là. Des copains dorment toujours là-bas près de
cette grande route à 4 voies. Ma santé commençait à se détériorer, mais
j’étais jeune et je pensais toujours à la France.
Automne 1941 : Embauché
dans une petite ferme
L’automne, l’agriculture a manqué de bras
pour ramasser les pommes de terre et les betteraves ; l’armée
mobilisait de plus en plus. On demande des paysans et je quitte le camp
avec un groupe. Nous parcourons une centaine de kilomètres. Le gardien
nous fait descendre à la ville de Oklawe et nous sommes distribués chez
des petits paysans, vieux ou handicapés. A deux, nous levons la récolte
et au bout de quelques jours, nous changeons de ferme. Une semaine
passée, nous sommes appelés au village voisin Olt-Beverdorf. Je suis
embauché dans une ferme de 30 hectares avec une trentaine de vaches,
plus un moulin et une boulangerie. Huit Français travaillaient au
village, deux à la ferme, un Polonais au moulin et un Allemand pour la
boulangerie. Le patron, Schmitz, chef des paysans de la contrée,
travaillait en ville. Il avait deux garçons, un à l’armée, l’autre (13
ans) à l’école, et une fille en stage en ville. La boulangerie
fournissait le pain aux villages d’alentour ; le cocher étant
mobilisé, il a fallu le remplacer et 4 fois par semaine avec un vieil
Allemand, j’allais apporter dans chaque village, 4 à 500 kg de pain
dans un dépôt.
Hiver 41- 42 : Malade
La neige tombant en quantité pour 2 mois
environ, il a fallu enlever les roues des remorques et les remplacer
par des traîneaux que, sur la neige gelée, 2 chevaux traînaient
sans peine ; ça glissait aussi bien que sur la route. Mais il
faisait froid et l’estomac se détraquait.
A la fin de l’hiver, l’appétit s’en allait
et je faiblissais. Le gardien m’a emmené au docteur à Oklawe, qui,
après auscultation, dit au gardien. Celui-là ne vous échappera pas, il
est faible. Il faut l’expédier au camp d’Hammerstein. Le gardien me
conduit au camp. Là il y avait des médecins français prisonniers avec
qui on pouvait s’expliquer. Le docteur allemand disposait. Quelques
vitamines et 15 jours de repos. J’ai rencontré d’autres Français,
fatigués comme moi ; chacun racontait de ses nouvelles, de la
famille, de la France qu’on voudrait bien revoir, et on se remontait le
moral pour le mieux. Mais la liberté nous paraissait loin. La vie au
camp me dégoûtait, voir toujours des malades et rester enfermés dans
les barbelés, gardés à la mitrailleuse. Un peu rétabli, je demande à
repartir dans l’agriculture.
1942 -
43 Retour dans une autre petite ferme près de la
Baltique
Un vieux soldat m’accompagne. A une
cinquantaine de kilomètres, on descend à Zanow vers la Pologne, entre
Stolps - Chenaid - Mûb - Gaslin, à 20 km de la Mer Baltique. 5 à 6 km à
pied et nous arrivons à Belkow, un village, une dizaine de prisonniers
français. Je vais rejoindre un autre Français dans une ferme de 30
hectares, remembrée. Le patron mobilisé, un beau-frère s’occupait de
nous et les 2 fermes marchaient ensemble. Le patron, Mr Wexel, boîteux
de la Guerre de 14, marié, une fille de 13 ans qui s’occupait des
jeunes du village. Un travailleur russe et une bonne faisaient partie
de la ferme. On trayait une trentaine de vaches. Le lait était ramassé
chaque matin pour la laiterie.
2 couples de chevaux pour le travail,
céréales, pommes de terre, betteraves pour les vaches et foin.
Lettre expédiée le 21
octobre 1942 du Stalag II-B – Hammerstein Poméranie
Dimanche 4 octobre 1942
Chère Maman et Tous,
Aujourd’hui je suis allé
faire une promenade dans les environ, visiter : avec quelques
copins d’autres commandos, car dans tous les villages il y a un
commando d’une 20 ne de prisonniers français, Belges ou Russes ; à
présent c’est presque rien que les étrangés qui travaille. L’Allemagne,
les hommes sont tous mobilisés et il reste plus que des jeunes ou
vieux : J’ai trouvé des français qui habite le Midi mais s’est
rare que j’en rencontre de l’aveyron. je me demande ou ils se tiennent.
J’en est juste vu 2 ou 3 de puis que je suis ici, pourtant j’ai changé
de pays j’ai parcouru 300 km ; ils nous ont transféré de camp
plusieur fois mais j’en rencontre pas beaucoup. y a na peut être pas
beaucoup de prisonniers ; s’est à souhaiter car cette vie n’est
pas bien interéssante ; ont se demande toujour quand sa finira.
Moi j’ai fai plus-que ma part. Sa va faire bientôt 6 ans que je porte
l’habit militaire et je saiderai bien ma place à un autre ; enfin
je pense qu’il y a n’à plus pour bien longtemps car les Villes commence
à la tirer.
Bien à Vous
Gabriel
Une vie meilleure pendant les
deux années 1942 et 43
Le patron était compréhensif ; pourvu
que le travail se fasse, il nous laissait tranquilles. Les gens
s’affranchissaient, devenaient plus familiers ; d’ailleurs pour
eux, les Français étaient les plus civilisés. On comprenait qu’ils
avaient besoin de nous. La politique envers les Français changeait.
Aussi l’ordinaire s’améliorait, mieux soignés et mieux vus. Le soir, on
allait coucher tous ensemble dans une salle. On discutait ensemble et
chacun donnait les nouvelles de France si des lettres arrivaient. Le
dimanche, on avait le droit de visiter d’autres Français, jusqu’à 20 km.
Lettre expédiée le 13
décembre 1942 du Stalag II-B- Hammerstein Poméranie
Dimanche 6 Décembre 1942
Chère Maman et
Tous : Ces temps-ci les Nouvelles sont espacées, peut être les
trains sont encombré pour d’autres boulo, depuis 3 semaines j’ai reçus
juste une lettre, ces jours derniers j’ai reçus aussi le colis dont
fait par le gouvernement Pétain ; un beau colis, ici ont est déjà
dans la neige, ont casse du bois, et ont bat la récolte de moissons.
Cet année y’a moins de grains que l’an passé le froid ou la neige et
resté trop longtemps le printemps passé et sa la crevé, ils vont
certainement diminuer la ration de Pain, mais sa nous gêne pas fort car
il est pas bien appétissant ; içi les patate remplace le
pain ; Nous voilla bientôt au 3ème Noél de captivité,
mais nous espérons tout de même que la nouvelle Année nous délivrera.
Au pays rien de Neuf tout le monde va bien Vous n’avais pas trop peur
de la guerre, a présent que toute la France est occupée ; sa
changera guerre pour vous car les troupes ne passe pas chez vous ;
attendant vous lire de bonnes Nouvelles je termine en penssant à cette
nouvelles année qui nous aménera, ont l’espère tous, la délivrance et
le retour au plus vite près de vous ; bonne Santée et Meilleurs
Vœux en vous embrassant tous bien fort
Gabriel
La Mer Baltique était à une vingtaine de
kilomètres. Stettin - Dantzig : 100 km. Beaucoup d’usines de
guerre. Aussi de temps en temps, les avions américains nous rendaient
visite et bombardaient les villes. Voyant la tactique d’Hitler, les
Américains sont rentrés en guerre et ont renfloué l’armée russe que les
Allemands avaient décapitée. Ils ont envoyé beaucoup de matériel en
Russie et remonté l’armée car ils avaient peur qu’Hitler domine
l’Europe.
Lettre expédiée le 19
mars 1943 du Stalag II-B - Hammerstein Poméranie
Bien Chère Maman et
Toute la famille
Ces jours derniers j’ai
reçus une lettre et une carte ainssi que des nouvelles d’Escabrins et
Magrin ; je vois que Joseph n’est pas encore rentré, mais avec ses
trois gosses il a beaucoup de chance ; pour moi je crois qu’il
faudra attendre la fin : espérons que sa s’approche, cette année
nous penssons qu’il va y avoir du changement : Tu demande
que je t’esplique ma situation : Depuis l’été dernier que j’ai
changé chez un parent du patron dans se village qui lui partait soldat
et il avait son prisonnier malade, je reste dans cette ferme
depuis : c’est près de la Mer Baltique aux environ de
« Stolp » Nous sommes 2 français seulement à
travailler : il y a 30 hct de champs mais une partie est
loué ; y a 3 chevaux et une 12 ne de brebis pour la laine, une 15
ne de vaches ; je tire en moyenne 12 à 15 litres de lait par
vaches : une voiture passe chaque matin pour le lever dans le
village ; ils en retire le beurre et après le fromage et c’est de
même dans toute l’Allemagne : Nous fesons les patrons car y a
point de femme ni d’enfant ; juste une sœur du patron qui est
marié dans le village et nous fait le mangé et s’occupe des
marchés ; L’hiver à été très dous ; on laboure pour
ensemencer 6 hct d’avoine et autant d’orge et de blé : Mes
Meilleurs embrassements
Gabriel
Carte
postale « Correspondance des prisonniers de guerre »
expédiée le 31 décembre 1943 du Stalag II-B Hammerstein Poméranie
Date : 27- 12 - 43
Chère Maman et
tous : Nous voilà à la suite des fêtes de Noêl, le temps n’est pas
trop mauvais. Noél est fété comme d’ordinaire : ont à tous reçus
de nos patrons quelques étrénnes ! moi j’ai eu une chemise, 1
paire de gants et quelques gateaux, comme tous ; pour les manger
ensembles au camp. Ce soir là ont à veillez un peu plus longtemps en
parlant du pays et de vous tous ; espérant que cette future Année
nous ramènera pour de bon et bientôt ? que ces vœux se renouvelles
bien meilleurs et nous apportent simplement le retour. Bonne Année et
bon espoir : Gabriel
1944
JUIN
1944
Passer le certificat d’études en Allemagne
Dans le commando, il y avait un professeur
de Paris, prisonnier comme nous, très chic ; l’hiver, les veillées
étaient longues. On s’embêtait ; il nous a dit que, si on voulait
des livres d’école venus de France, on pouvait repasser ce que nous
avions appris jeunes et, au cours des veillées, à quelques uns nous
avons fait des devoirs. Six mois après, on est allé passer un concours
à la ville et quelques uns, nous avons eu un diplôme qui nous valait le
certificat d’études. La vie s’était améliorée depuis les débuts, on
commençait à comprendre la langue et on pouvait discuter avec eux.
N’empêche que le temps nous paraissait de plus en plus long et on se
demandait quand on reverrait nos familles, la France.
Les alliés ont débarqué en
France, les Russes arrivent…
A l’automne 44, se comptaient en Allemagne 8
millions de travailleurs étrangers - Russes, Polonais, Français,
Italiens, Belges, Hollandais, Anglais, quelques Américains, Serbes,
-…Avec leur discipline, l’Allemagne produisait toujours.
Les Américains venaient pilonner de plus en
plus les villes et les démolissaient, mais les usines dans la terre
tournaient toujours. Les mères et leurs enfants sont venus loger chez
les paysans, les villages ont doublé, les rations de sucre et autres
diminué. Chaque semaine, on annonçait des morts sur les fronts. Les
Russes renfloués par les Américains ont repris le dessus et fait
reculer les Allemands. Les gens anxieux et inquiets se demandaient
comment ça allait tourner pour eux. On a appris que les Américains, les
Anglais et les Français avaient débarqué en France. Tout ça leur
compliquait la situation. On a rentré les récoltes car l’armée leur
demandait des provisions. On se battait en Pologne. Les ordres sont
arrivés pour aller faire des tranchées antichars 3m de large - 3 m de
profondeur. Vers la frontière polonaise, des femmes, des vieux jusqu’à
70 ans étaient de la partie. La neige tombant, on a abandonné. Depuis
le mois d’octobre, le courrier n’arrivait plus. On voyait que ça tirait
vers la fin, mais cela allait-il se terminer avec ces Russes à moitié
sauvages ?
Carte postale
« Correspondance des prisonniers de guerre » expédiée le 19
décembre 1944 du Stalag II-B Hammerstein Poméranie
Date : 8 - 11 – 44
Chère Maman et Tous,
J’espère que vous avez
reçu la réponse de votre lettre que j’ai attendue 4 mois environ
;je suis content de vous savoir en bonne santée ; pour moi
toujours à l’abrit pour l’instant. Nôtre 5ème Noel,
qui se trouve dans le 54ème mois de nt captivité un colis de
la croix rouge nous est distribué à tous ; pensant que ce sera
pour nous le dernier Noél, Nous esperons bientôt vous retrouver dans la
paix le bonheur et la joie
Bien à Tous, Gabriel
Rentré chez lui, il
ajoutera de sa main sur cette carte :
Mes dernières nouvelles,
jusqu’au 28 juillet 1945 de retour à la maison.
1945
La
peur des Russes
Janvier et février 45, les Russes ont repris l’offensive et refoulé les
Allemands. L’hiver passait. Les habitants de Prusse Orientale - des
charrettes pleines de femmes, enfants et vieux - fuyaient ; ils
couchaient dans les granges. Beaucoup de vieux sont morts de froid. Ils
fuyaient l’armée russe qui détruisait tout sur son passage. La Prusse
était séparée de l’Allemagne par de grands lacs ; pour économiser
des kilomètres, les Prussiens ont traversé ces lacs gelés et beaucoup
se sont noyés. Avec la neige et la pluie, les routes encombrées se
défonçaient, l’armée en était bloquée. Ils ont défendu d’évacuer et
nous avons attendu l’armée russe. De temps en temps passaient des
soldats allemands, mais dans les campagnes, c’était tranquille. Le
canon s’entendait. En Pologne les Russes avançaient. On a vu les
premiers avions russes nous rendre visite et nous bombarder. Ils
venaient repérer le terrain et l’armée.
Les Russes sont là
Le 1er mars, ils viennent tirer
quelques coups de mitrailleuse sur les toits des maisons et granges.
Une grange s’allume. La libération approchait mais on était pas trop
rassurés. Vers 11 h du matin, on aperçoit une compagnie de soldats,
c’était bien des Russes. A l’entrée du village, ils l’entourent et, à 3
par 3, ils fouillent les maisons. Un restait sur la porte, l'autre
faisait mettre tous les habitants dans la cuisine, un troisième
fouillait toute la maison. S’il trouvait quelqu’un de camouflé, il le
tuait.
Nous tous rassemblés, on a dit qu’on était
des prisonniers français ; ils nous ont fouillés, enlevé nos
couteaux, montres, bagues, souliers des pieds s’ils étaient bons. Ordre
de se rassembler, tous les étrangers, sur la place du village à 2 h de
l’après-midi. Les prisonniers russes et travailleurs civils ensemble,
ensuite les Polonais, et les Français. Le capitaine et son ordonnance
sont arrivés ; ils ont questionné en premier les civils ukrainiens
que les Allemands avaient réquisitionnés pour le travail. Il les a
menacés de son revolver en leur disant qu’ils étaient des traîtres,
qu’il fallait se faire tuer plutôt que de suivre les Allemands, qu’ils
étaient fautifs et qu’ils seraient punis.
Les prisonniers russes et polonais devaient
être rééduqués dans l’armée et repartir en ligne, à la guerre. Quant à
nous, Français, il a griffonné un papier, un laissez-passer, et nous a
dit de partir en Russie ; des avions ou des bateaux viendraient
nous chercher, mais nous avions des kilomètres à faire à pied, à nous
de nous débrouiller.
Les soldats russes ont vadrouillé toute la
nuit, cherchant les femmes. Mon patron, pour se faire bien voir des
soldats, est allé chercher une liasse de billets qu’il a tendue à son
prisonnier russe. Le caporal lui a partagé en deux les billets et les a
jetés au feu en lui disant que leur monnaie ne valait plus rien. Il y a
eu des règlements de compte ; le prisonnier qui avait été mal
traité, partait avec un soldat et la mitraillette, et il descendait
toute la famille et brûlait la ferme. Les villages sur la frontière ont
beaucoup payé par les soldats qui se sont vengés de l’armée allemande
et de ce qu‘elle leur avait fait subir en Russie. Quand tout homme fait
sa police, c’est la fin de tout. On descend plus bas que la bête.
D’ailleurs c’était des Mongols à moitié sauvages. Au bout de quelques
jours, il y a eu plus de discipline ; on faisait travailler les
prisonniers dans le ravitaillement.
Rentrer par la Russie… en
traversant la Pologne
Après avoir récupéré quelques dentées pour faire la
route, nous attelons les deux juments de notre patron, chargeons des
couvertures, et tous les dix copains, nous partons vers la Pologne. A 7
km, le chef-lieu de canton Zanow, les maisons brûlaient, du sang sur la
route. La veille, ils s’étaient battus, une vingtaine de tanks sur le
bord de la route. Tous les blessés avaient été traînés sur la route et
les tanks étaient passés dessus. Une flaque de sang et d’eau, il ne
restait rien que la trace des habits. Nous passons vite car nous
n’étions pas trop rassurés. A 4 km plus loin, on rencontre une 2ème
colonne ; on nous arrête, ils prennent les chevaux et la
charrette, nous fouillent à nouveau. S’apercevant que mes souliers
étaient assez bons, un soldat me braque la mitraillette sur la poitrine
et me fait comprendre que je dois les lui donner. J’ai beau dire que je
suis Français, que l’officier avait dit de partir en Russie, il n’a
rien voulu savoir. J’ai quitté mes souliers et les lui ai donnés. Un
copain m’a donné une vieille paire, et nous partons, le sac sur le dos,
sans rien dire car ils tiraient pour pas grand chose, - un Français,
seul et blond, ressemblant à un Allemand, ils le descendaient -.
Longue et douloureuse traversée,
à pied
Nous avons emprunté des petites routes pour
ne pas être embêtés car des camions de ravitaillement, de munitions ou
autres arrivaient sans cesse, de gros camions américains conduits par
de jeunes femmes à 2 chauffeurs par camion. Bientôt nous sommes sur la
frontière polonaise, des ruines partout, des morts car les Russes
enterraient les leurs mais pas les Allemands. L’armée d’occupation les
a fait enterrer aux Allemands, dix à quinze jours après.
Cet hiver là n’a pas été trop mauvais, peu
de neige heureusement et de froid. Chaque jour, nous parcourions une
quarantaine de kilomètres. Bientôt s’est formée une colonne, mais les
dix copains, nous faisions bande ensemble. Les réserves épuisées, il
fallait se débrouiller, et le soir venu on rentre dans une maison pour
voir si on pouvait avoir quelques pommes de terre ou autres. En
fouillant dans les chambres, deux femmes tuées sur les lits, à la cave,
un vieux mort à côté des pommes de terre… Avec le copain, on en prend,
on les épluche et nous faisons de la soupe, mangeons dans la cuisine et
dormons avec les morts. Depuis quelques jours, on était habitués.
Le matin, nous continuons la route emportant
quelques pommes cuites avec nous. En route, nous repérions quelques
animaux dans les bois que les paysans avaient laissé échapper, -
génisses, cochons, maigres, que les os - ; on les attrapait, les
dépeçait et nous faisions de la soupe avec, un morceau de pain noir, en
mendiant aux Polonais, dans la misère comme nous. Après 3 ans de
guerre, ils n’avaient plus rien.
Arrivés à la ville de Bydgoszcz, un
convoi de camions à l’arrêt, conduits par des femmes soldats russes. A
un mètre devant moi sur le trottoir, une soldate sort d’un appartement
avec un Allemand en tenue camouflée, elle l’abat avec le revolver deux
mètres plus loin. Le soir à nouveau on repère une maison à l’écart pour
ne pas être embêtés et se reposer ; en allant puiser de l’eau au
puits, un brin de neige, je cogne dans un type mort, je fais le plein
et nous continuons.
Les chevaux de l’armée tombaient d’épuisement, les civils
tout comme nous les dépeçaient. Nous passons à Bromberg et filons sur Lodz, plus d’un million d’habitants à
l’est de la Pologne, soi-disant que dans les grandes villes, le
ravitaillement reprenait. Là, dans les écoles, ils nous ont ravitaillés
8 jours. Le dimanche, c’était Pâques, la cathédrale à côté, nous avons
assisté à la messe, on était autant dehors que dedans. Et nous
continuons sur Varsovie. Le pays semblait pauvre - chemins de terre,
des granges et maisons recouvertes de roseaux ou de chaume-.
Arrivée à Varsovie
Le 6 avril 45, arrivée à Varsovie,
toujours des ruines, des maisons détruites, brûlées, des quartiers
entiers dévastés. Le château d’eau qui servait aux locos à faire le
plein est rasé. Les locos faisaient le plein à la Vistule, fleuve qui
passe à Varsovie, avec des tuyaux ; la plaque tournante n’existant
plus, les locos y allaient à reculons. On fouillait dans les jardins
pour récupérer quelques racines, plus d’eau potable, les gens
habitaient dans les caves. Une semaine passée, un train russe s’arrête
et nous distribue du blé concassé. On le faisait bouillir et nous
patientons. La vie n’était pas rose, mais nous avions reconduis une
partie de liberté.
Vers la Russie en train
Encore 8 jours, un deuxième train venant ravitailler
l’armée, s’arrête. Ordre de monter à 2000. Nous voilà partis vers la
Russie ; sur la frontière russe à Lublin, des
carcasses de matériel - canons, tracteurs, camions éparpillés -. On
devinait les bagarres qu’il y avait eues.
Luk-Rovno : un
marché, les paysans venaient vendre des denrées, petits pois noirs
farcis de haricots, pommes de terres - de belles pleines -, mais
pauvres masures, chemins de terre, routes espacées. Vu la neige,
l’hiver, les transports beaucoup par train.
Jitormir :
on commençait à reconstruire de petites maisons entre voisins.
Chepetowka et
on descend à quelques kilomètres de Kiev, capitale
de l’Ukraine.
Kiev, capitale de l’Ukraine
De grandes casernes, avec enseigne sur une
grande pierre en haut ! La faucille et le marteau, bombardées,
sans carreaux, portes cassées. La nuit on gelait , sans
couvertures, on chahutait entre nous pour se réchauffer. On était une
quinzaine de mille. Deux fois par jour, on mangeait de la soupe de maïs
ou de blé concassé. Les gosses des alentours venaient manger le reste,
c’était aussi la misère. En dernier, les Américains envoyaient des
barriques de jambonneaux qu’on stockait dans des caves en terre pour le
froid l'hiver. On pouvait se promener dans les environs, mais pas dans
les bois car il y avait des soldats qui avaient quitté l’armée et qui
se camouflaient. Ils étaient déserteurs et condamnés. Ils avaient droit
à rien. La nuit, ils sortaient pour piller linge et légumes.
La nature en retard de chez nous - de
grosses fermes, des troupeaux de vaches, de petits chevaux pour
travailler, de vieux outils -. Les vieux et les femmes y travaillaient,
mais sans intéressement ; l’argent n’existe pas. On les payait
avec des tickets qui donnaient droit à acheter pain, légumes et autres
habits ; mais il restait juste du pain noir, du sel,… Pas d’habits
(terminés), les poches pleines de tickets qui ne servaient à rien. Les
jeunes marchaient pieds nus, les vieux se faisaient des sandales en
osier.
Un beau jour, j’ai rencontré un classard, Burguière de
Jumels, près de Laissac, ainsi que le Père Lavabre, curé des Quatre Saisons, qui était
parmi eux. Ils s’étaient évadés deux fois ; la deuxième fois, ils
les ont envoyés dans un camp disciplinaire à Rawa-Ruska. Couchés dans
les écuries, l’hiver très froid - 30 ° en Pologne, mal nourris et
travail dans des carrières, la neige. Burguière avait pris mal, aussi
ça fait quelques années qu’il est mort. J’ai vu des jeunes de l’Aveyron
que les Allemands avaient recrutés pour travailler.
Une fois par semaine, il y avait le marché.
Les paysans venaient vendre des denrées car, en ville, ils crevaient de
faim. Un jour de marché, un avion est tombé à 100 mètres. Aussitôt la
police a bouclé le quartier ; impossible de voir les dégâts.
Il y avait des gens braves comme partout qui
demandaient la fin de la guerre comme nous, car on était mal
renseignés. On se demandait quand les Français viendraient nous
chercher car depuis 6 ans, on n’avait pas vu la famille, la France. On
voyait passer des trains entiers de matériel agricole ou des usines que
l’armée d’occupation démantelait en Allemagne et expédiait en Russie.
Les églises servaient de dépôts de grain ou autres.
Nous avions appris que la guerre était
finie, mais rien pour notre retour.
La guerre est finie. Et notre
retour ?
Au mois de juin, un groupe de militaires
sont venus nous faire du cinéma à Kiev pour se gonfler et faire de la
propagande. Ils faisaient voir ce qu’ils avaient de plus beau pour
remonter le moral des civils - ils allaient faire des routes, placer
l’électricité, améliorer la vie des gens - . Ils étaient contents car
ils n’avaient pas vu notre vie d’occident. dans les campagnes reculées,
les voitures et les vélos n’existaient pas.
Juin 1945
LE RETOUR
En train de Kiev à Magdebourg en Allemagne
Fin juin, le bruit court que le retour allait venir. La
confiance n’était pas grande envers eux. Enfin , à deux mille, ils nous
disent de nous préparer et nous partons à la gare. Le train complet, il
démarre. On quitte le pays sans regret. Le train repart vers la
Pologne, sauf qu’on se dirige vers le sud : Rodon – Krakow – Katowice – Bytom –
Breslau – au sud de la
Pologne, ville de 200 000 habitants complètement détruite ; tous
les cabanons des jardins habités par des femmes et des enfants. Le
train allait doucement car souvent les rails reposaient sur des
planches. Route faisant, nous revoyons bientôt les ruines de la région
d’Allemagne que nous connaissions. Les Russes nous ont conduits jusqu’à
Magdebourg près de Berlin, camp anglo-américain. Là
nous étions plus rassurés et nous avons quitté la compagnie des Russes
sans regret.
Les Américains nous ont restaurés, une
douche… Cela faisait 4 mois qu’on ne s’était pas déshabillés. Changés
les habits, les chaussures. Une semaine et nous repartons vers la
Hollande. Des Français trop contents étaient montés sur le toit des
wagons ; des câbles tendus au-dessus les ont jetés par terre. Il y
a eu des tués. Bien triste aux dernières heures de revoir la France.
La Hollande, la Belgique, la
France
Braunschweig - Dortmund - Buisbourg, Hollande - avec un arrêt dans un château.
48 h bien reposés.
Liège, Belgique - Charleville-Mézières - la France retrouvée. La municipalité
nous a offert un bon souper avec du vin. Aussi on a chanté.
Paris
Le lendemain, Paris - Il fallait passer les
visites médicales et nous orienter chacun dans sa région pour le billet
du train. Le troisième jour libre, pour saluer de la famille s’il y en
avait. Moi, je me suis rendu dans le 5ème, rue Claude
Bernard où des cousins Fabre logeaient. J’ai demandé à la concierge de
leurs nouvelles. Elle m’a dit qu’ils étaient toujours là, que la dame à
cette heure devait faire des provisions à l’épicerie. Je m’y rends et
la repère. On se rencontre et elle me reconnaît. Nous repartons à
l’appartement et causons : Alban toujours dans les wagons postaux,
les enfants en vacances à Séverac l’Eglise. Le soir, Alban est rentré
du boulot et nous dînons ensemble. Moi, il me fallait rejoindre la
caserne pour terminer mon long voyage. En se disant au revoir, la
cousine me glisse 2 billets de mille francs dans la poche et bien
content, je suis parti avec un au revoir au pays.
Départ pour l’Aveyron
Le lendemain, on nous donne à chacun son billet de train
pour se rendre chez nous et fiers, nous embarquons. En chemin, quelques
autres de l’Aveyron. Arrivés le matin à Rodez à la
gare, un soldat nous prie de nous rendre à l’hôtel dans un immeuble en
haut de la rue Béteille pour nous faire démobiliser et toucher
les tickets donnant droit à l’achat de pain, viande, nourriture, habits
et autres.
28 juillet 1945 : le plus beau jour de
ma vie
Le soir à 5 h avec le car, je me rendais à
St-Julien et je retrouvais mon village et ma famille que je n’avais pas
revue depuis Noël 39 et sans nouvelles depuis octobre 44 :
C’était le 28 juillet 1945 dans ma
trentième année.
Le plus beau jour de ma vie !
Grâce à l’espoir que j’avais toujours
gardé !
30 mois de régiment, 9 mois de guerre et 62
mois de captivité : 9 années s’étaient écoulées pour moi et ma
jeunesse, passées sous les ordres de l’armée française, allemande et
russe.
J’ai retrouvé ma mère vieillie, fatiguée,
épuisée de soucis qui m’attendait depuis longtemps. Ma sœur Angèle qui
la secondait – mes frères ayant quitté la maison.
Pour nous, prisonniers, le courage y était.
« La liberté retrouvée, ce qu’il y a de plus beau dans la
vie », pour le reste tout s’arrangerait.
La vie était encore sombre. L’argent
manquait. Le travail au ralenti, les gens méfiants,. On se sentait
étranger à la vie. Le marché noir existait encore.
On se sentait étranger à la vie. On se
retrouvait tous ensemble avec la vie changée : les anciens avaient
disparu, morts ; les autres au travail pensant « chacun pour
soi » Les jeunes avaient grandi, les plus jeunes ne me
connaissaient pas et moi non plus.
La vie ne paraissait pas rose, on manquait
de tout. La guerre avait ruiné le pays. Tout doucement la vie normale
est revenue à son ordinaire
Pour nous, prisonniers, le courage y était.
« La liberté retrouvée, ce qu’il y a de plus beau dans la
vie », pour le reste tout s’arrangerait.
Réflexions :
Nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert ; l’homme
est un apprenti, la douleur est son maître.
La vie que nous avons à vivre est un combat que nous devons
mener avec sagesse.
La joie est indispensable à la vie. Quand il n’y a plus de
joie, il n’y a plus de vie. Soyons toujours par nos actes porteurs de
joie et donc porteurs de vie.
Si nous, prisonniers, avons vécu quelques années de misère,
je pardonne espérant que ça servira pour la Paix et un avenir meilleur
pour nos jeunes.