STALAG IIB   HAMMERSTEIN,   CZARNE en POLOGNE

CAMP de PRISONNIERS de GUERRE 1939-1945 en POMERANIE

 

 

 

Photos et texte  transmis par son fils

Denis TOISON

 

André TOISON

 

 

Matricule n° 74852

 

ANDRE TOISON,  31 mars 1909 – 10 janvier 1996,

- Itinéraire militaire –

stalag IIB, matricule n°74852

Récit établi par son fils Denis TOISON.

 

André TOISON est né à Château-Thierry dans l’Aisne, le 31 mars 1909. Il y passera toute son existence.

Très jeune, il allait déjà connaître les tourments de la guerre, puisque la vallée de la Marne est le site d’importants combats en juin et juillet 1918. La population civile est évacuée le 29 mai et André TOISON part en compagnie de sa mère - son père est mobilisé depuis bientôt 4 ans - et de ses grands-parents maternels à Saint-Jean-de-Braye près d’Orléans. Il retrouvera sa ville natale en ruines quelques semaines plus tard.

Marié à Hélène SARAZIN, en 1937 il allait avoir 4 enfants, 2 garçons Jean-Claude et Daniel nés en 1938 et 1939, une fille Anne-Marie, née en septembre 1945 et moi le petit dernier, né en janvier 1952.

Il fera toute sa carrière professionnelle dans le travail du bois, puisque après avoir été apprenti menuisier, il allait se tourner vers l’ébénisterie qui avait le grand avantage d’avoir une facette  artistique plus affirmée, mon père ayant à sa façon une âme d’artiste puisqu’il aimait aussi parfois dessiner ou sculpter le bois. Dès 1932, à l’âge de 23 ans, il créait son premier atelier d’ébénisterie dans lequel mes deux frères aînés travailleront par la suite à ses côtés.

 

SERVICE MILITAIRE,

 

Auparavant en 1929, il passe une première fois devant le conseil de révision qui l’ajourne temporairement.

 

Conseil de révision

 

 

En 1930, il est de nouveau convoqué et cette fois, est déclaré « bon pour le service ».

 

 

 

Il fait donc partie de la classe 1929B comme en atteste son livret militaire. Il est incorporé le 15 octobre 1930 au quartier Boussat à Dieuze dans la Moselle qui abrite le 125e Escadron Automobile de Réserve Générale.

Il s’y présente le 22 du même mois et intègre la 102e Compagnie. Il faisait ainsi parti des premiers appelés à constituer cette unité puisque ce régiment venait d’être créé en juin.

Le 30 mars 1931, il obtient de la commission d’examen le brevet militaire pour la conduite de camions.

Il est placé en disponibilité le 15 octobre 1931, affecté au Centre Mobilisateur du train auto n°2 stationné à Amiens. Il allait accomplir ensuite deux périodes de réserve, la première de trois semaines en juillet 1933 et la seconde du 17 au 31 juillet 1938.

 

 

 

DIEUZE (Moselle)

 

 

CAMP de SISSONNE (AISNE) Juillet 1933

 

 

 

 

MOBILISATION, GUERRE 39-40,

 

Mobilisé dès le 28 Août 1939, André TOISON laisse femme et enfants, mes deux frères aînés âgés seulement de quelques mois. Il est affecté avec le matricule 356, à la 352e Compagnie Auto de Quartier Général rattachée au 2ème Corps d’Armée. Cette compagnie constituée à Argoeuves près d’Amiens est composée de diverses sections de commandement et de services généraux dont un service de santé et d’une section sanitaire automobile. C’est dans cette dernière que mon père va se retrouver sous le commandement du lieutenant Camille Prévost. Il devient donc ainsi ambulancier et théoriquement « combattant neutre » sous la protection de la convention de Genève. Lors de l’offensive de la Sarre début septembre, le 2ème C.A. viendra en position de soutien et sera cantonné à Lisle-En-Rigault dans la Meuse. Au printemps 1940, la situation du 2ème C.A. va évoluer puisqu’il vient renforcer la IXème Armée issu du Détachement des Ardennes commandé par le Général Corap. En mars 1940, il constitue l’aile gauche de cette armée et est stationné dans le nord de l’Aisne.

 

La 352ème Compagnie est positionnée à Mont-Notre-Dame, une petite bourgade située entre Soissons et Reims. La section sanitaire lourde a réquisitionné le moulin du village, dont M. Chopin est le propriétaire. Les jours sont encore tranquilles en cette période de « drôle de guerre » et mon père n’a que quelques dizaines de kilomètres à faire pour venir, une dernière fois du 9 au 20 mars, en permission de détente à Château-Thierry.

 

MONT-NOTRE-DAME

 

 

 

 

Face à l’attaque des troupes allemandes massées aux frontières des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg et en riposte à leur avancée vers l’ouest, c’est le « plan Dyle » mis au point de longue date par le GQG français qui est déclenché au petit matin de ce vendredi 10 mai 1940.

Conformément à ce plan, la VIIème Armée du Gal Giraud prend position au nord d’Anvers, l’armée belge, le corps expéditionnaire anglais ainsi que la Ière Armée du Gal Blanchard défendent une ligne Anvers-Namur, la IXème Armée du Gal Corap en pivotant autour de son aile droite termine ce dispositif de Namur à Mézières.

Le 2ème C.A. quitte son cantonnement dans l’après-midi du 10 et vient se positionner au sud-est de Charleroi.

La 352ème Compagnie de mon père arrive dans la journée du 11 à Thy-le-Château, un petit village au sud cette fois de cette même ville. Ils sont en position de soutien assez loin des premières lignes et de leur QG. Ils ont pénétré en Belgique d’une vingtaine de kilomètres. Devant eux, plein Est, la Meuse à 30 km.

 

Comme chacun sait, c’est précisément dans ce secteur de la Meuse entre Namur et Dinant et pratiquement simultanément autour de Sedan, que les lignes françaises vont être percées.

Lors des violents combats sur la Meuse entre le 12 et le 14 mai, ce sont probablement plusieurs milliers de soldats qui sont blessés ou tués uniquement pour ce secteur tenu par la IXème Armée entre Namur et les Ardennes. Contrairement à ce que répétait souvent mon père « il n’est pas monté en Belgique pour rien », même s’il plaçait surtout cette réflexion sur le plan d’une stratégie militaire effectivement assez aléatoire.

La section sanitaire lourde à laquelle appartient André TOISON, est  positionnée en tant que groupe sanitaire d’évacuation. Située à distance du front, elle reçoit les blessés amenés par les ambulanciers des unités de combat. Dès leur installation à Thy-le-Château, les autorités militaires françaises savent que la ligne de défense qui se met en place sur la Meuse va recevoir l’impact des troupes allemandes. Ils s’organisent donc en conséquence et réquisitionnent différents bâtiments communaux comme les écoles de garçons et de filles ou le séminaire des Pères Blancs pour les transformer en centres d’hébergement pour leur service sanitaire ou en hôpitaux de première urgence. Les médecins pourront ainsi y traiter les cas les plus simples et pour les blessés demandant une prise en charge plus conséquente assurer leur transport vers des hôpitaux de l’arrière mieux équipés.

C’est dans ce contexte que mon père va être amené à faire la liaison très fréquemment avec les établissements hospitaliers d’Avesnes sur Helpe ou de Maubeuge. En sachant que tous ces lieux seront les jours suivants réduits en champs de ruines par les bombardements incessants de la Luftwaffe qui prend pour cible tous les convois qu’ils soient civil, militaire ou même sanitaire. Dès le mercredi 15 mai, l’ordre de repli est donné à la IXème Armée par le Gal Corap, quelques heures avant son remplacement par le Gal Giraud.

 

Pour André TOISON, ce retour s’effectue donc par une route qu’il commence à malheureusement bien connaître. Le convoi composé des douze ambulances de la section arrive à Maubeuge dans la soirée du 15. C’est le lendemain, que l’aviation allemande allait écrire l’une des plus terribles pages de l’histoire de cette place forte du Nord. Le bombardement allait durer toute la journée.

La ville est à feu et à sang. Le soir, il ne reste plus que deux véhicules sur les douze mais aucune perte humaine n’est à déplorer dans les rangs de la section sanitaire. Terrible journée au cours de laquelle les brancardiers militaires ont été mis à rude épreuve. Je n’ai pas souvenir que mon père en ait souvent parlé, lui qui nous a tant raconté par la suite cette période de sa vie. Il a dû pourtant prendre quelques risques malgré tout puisqu’il fera l’objet d’une « proposition de citation pour sa belle conduite » ce jour-là. Il ne sera pas promu à cette distinction et personne ne sait ce qui s’est précisément passé à Maubeuge pour ces hommes en cette journée si particulière.

En attendant, dès le lendemain ils reprennent la route avec leurs deux véhicules restants, vers le sud-ouest en direction du Cateau-Cambrésis.

 

Je pense que c’est à partir du vendredi 17 mai et de leur départ de Maubeuge que les évènements deviennent vraiment chaotiques pour ce groupe auquel mon père appartient encore. Ils poursuivent leur tâche de sauveteurs malgré qu’ils soient « assez déprimés moralement et physiquement » comme ils l’écriront plus tard. Il ne leur reste plus désormais que l’énergie du désespoir.

Arrivée au Cateau dans la journée du 17, la section se divise alors en plusieurs groupes pour effectuer des évacuations vers différents hôpitaux. Le petit groupe dans lequel se trouve André TOISON est commandé par le sergent Sylvio Nonin. Ils se connaissent bien pour avoir fait leur service militaire ensemble à Dieuze. Ils se répartissent dans les deux ambulances encore en leur possession et descendent jusqu’à Bohain.

Le samedi 18, ils rejoignent Wassigny dans le nord du département de l’Aisne où se trouve par ailleurs, l’Etat-major de la IXème Armée. Les deux dernières ambulances sont envoyées dans la journée vers un hôpital d’Amiens avec un chargement de blessés accompagné d’une partie des ambulanciers. Dans la soirée, ils ne sont plus alors que cinq de la section sanitaire à rester à Wassigny, le sergent Nonin, les brigadiers Laneuville et Laumon et les conducteurs Simon et Toison.

C’est vers 22h, qu’ils se voient attribuer une camionnette réquisitionnée. Mission leur est donnée d’évacuer une dizaine de blessés. Ils réussissent tant bien que mal à installer tout le monde dans le véhicule, les brancardiers restant sur les marchepieds accrochés aux portières et prennent la direction de Bohain à une dizaine de kilomètres. Ce sera leur dernière équipée, puisque très vite cette nuit-là ils vont se trouver confrontés à des colonnes de panzers circulant à grande vitesse vers l’ouest. Ils vont alors tenter de franchir ce qui constitue maintenant les lignes ennemies. Après avoir déposé leurs blessés à Bohain, ils doivent également abandonner leur véhicule à court d’essence. Le sergent Nonin récupèrent deux nouveaux véhicules dans lesquels des blessés sont encore pris en charge. Le petit groupe se scinde alors en deux : d’un côté le brigadier Laneuville et le sergent Nonin et dans le second véhicule le brigadier Laumon, le conducteur Simon et mon père. Les deux véhicules roulent ensemble dans la direction de Péronne qui est déjà aux mains des allemands. Ils tentent d’éviter les grands axes maintenant fréquentés par les troupes de la Wehrmacht et les panzers de Rommel. Ils traversent Beaurevoir, village au nom prédestiné, l’un des derniers de l’Aisne avant d’entrer dans la Somme.

Aux premières lueurs de l’aube en ce dimanche 19 mai, ils approchent du Catelet, une petite bourgade d’un peu moins de 200 âmes sur la nationale 44 entre Saint-Quentin et Cambrai. Ils sont probablement englués dans quelques autres troupes épuisées qui battent en retraite. Et c’est là, au moment où ils s’approchent de ce groupe de maisons que les balles ennemies sifflent au-dessus des véhicules… Fin de partie. En sortant de leur véhicule avec le sigle de la Croix-Rouge sur le bras gauche, ils ont d’abord pensé pouvoir bénéficier de leur statut de neutralité. Il n’en fût rien bien sûr. Des années plus tard, mon père écrira ces quelques mots pour raconter ce moment :

« Au Catelet, nous avons assumé jusqu’à la dernière minute notre tâche, certes très complexe et très difficile puisqu’à cette ferme du Catelet, nous avons amené sur un brancard, un officier supérieur qui était en fichu état, poitrine défoncée ».

« Los ! Los ! Schnell ! » C’est le premier cours d’allemand. Avec quelques coups de crosse dans le dos pour ceux qui ont des difficultés dans l’apprentissage des langues étrangères. Une sorte de cours accéléré dont les rudiments seront vite appris. Et il va être nécessaire d’apprendre rapidement puisqu’à partir de cet instant la devise va devenir : « marche ou crève ! »

 

CAPTIVITE,

 

André TOISON rejoint ainsi les longs cortèges de soldats défaits, partant comme les autres à pied vers l’Allemagne, dans des conditions très difficiles comme tous en ont fait le récit ici.

Fatigue, dépérissement, maladie, ils seront pour la plupart touchés à des degrés divers. La dysenterie, terrible maladie infectieuse fera des ravages dans les rangs. Mon père n’y échappera pas. Comme il le répètera souvent plus tard, selon lui, c’est le tabac qui lui sauvera la vie. Un compagnon d’infortune lui ayant suggéré de mâcher du tabac pour arrêter cette terrible diarrhée qui couchait sur le flanc les plus robustes d’entre eux, il restât persuadé que ce traitement assez  rudimentaire, l’avait guéri.

A la lecture de sa Personalkarte établie par les autorités allemandes, c’est le dimanche 16 juin 1940 que mon père arrive au stalag IIB à Hammerstein.

Il ne devait rester que 33 jours dans ce camp de concentration, le temps de devenir le matricule 74852.

 

 

 

 

 

 

Même s’il est toujours affecté au stalag IIB, son transfert vers la région de Stolp intervient dès le 20 juillet.

A 100 km au nord d’Hammerstein, c’est avec Köslin, l’autre grande ville du nord-est de la Poméranie.

Avec près de 50 000 habitants, cette agglomération située à 20 km de la mer Baltique est un centre industriel important.

 

Mais en cet été 1940, c’est l’agriculture qui demande des bras pour rentrer les récoltes et remplacer ainsi les millions d’hommes partis à la guerre. Car malgré ses sols pauvres et son climat rigoureux, la Poméranie est bien avant tout une région agricole.

Sur deux millions d’habitants en 1940, la province voit près de la moitié de ceux-ci se consacrer directement aux travaux de la terre. L’agriculture est donc largement prédominante lorsque l’on sait que l’industrie et le commerce dépendent aussi pour une bonne part de ce secteur d’activité.

Au début du XXème siècle, les cultures de céréales représentent plus de la moitié des surfaces cultivées avec une prépondérance pour le seigle et l’avoine. La Poméranie est aussi la première région productrice de pommes de terre dont une partie est destinée à la distillation. La production ovine, même si elle décroît depuis la fin du XIXème siècle, est encore à la base de l’élevage dans ses terrains difficiles. Rien de bien différent donc de ce qui se fait en France à la même époque. C’est davantage dans les méthodes agraires et dans la structure même des exploitations agricoles que la disparité est la plus significative.

Plus de la moitié des terres sont la propriété de grands domaines aux mains de l’Etat, de l’Eglise ou d’aristocrates terriens, les junkers. Caste élitiste, les junkers exercent une influence de premier plan dans la vie politique et sociale. De la constitution de l’Empire en 1871 à la République de Weimar en 1933, un dicton dit que “la Prusse régente l’Allemagne et que ce sont les junkers qui régentent la Prusse”. C’est dire leur pouvoir et la notoriété apporter par la richesse agricole. Leurs exploitations constituées de plusieurs milliers d’hectares, fonctionnent sur un mode industriel avec des centaines d’ouvriers encadrés de contremaîtres et autres régisseurs parcourant à cheval le domaine.

Mais tout comme en France, parallèlement à ces domaines démesurés, il existe aussi de petites exploitations dont la taille varie d’un demi à quelques dizaines d’hectares. Elles représentent bien sûr la grande majorité des 180 000 exploitations agricoles de Poméranie. En comparaison des junkers, il n’est pas difficile d’imaginer que ces propriétaires terriens vont avoir la tentation de se conduire en hobereaux, petits seigneurs campagnards, au sein de leur plus modeste territoire.

Hans Gleumann est l’un de ceux-là. Il habite à Klenzin un petit village de 426 habitants à 30 km au nord-est de Stolp. Plus précisément à Neu Klenzin.

 

 

C’est après la première guerre mondiale qu’il s’est installé là. Entre 1900 et 1939, près de 100000 fermes ont été créées principalement dans les provinces du nord et de l’est du Reich comme en Mecklembourg, en Prusse orientale et donc aussi en Poméranie. Neu Klenzin fait ainsi partie de ces nouvelles implantations liées à la réforme agraire. Cette extension administrative de la commune de Klenzin permet une meilleure utilisation des voies de communication locales, en particulier en mettant à profit la route et la voie ferrée qui partant de Stolp desservent toute la façade maritime jusqu’à l’ancienne frontière polonaise.

 

Hans Gleumann possède l’une des plus importantes exploitations agricoles sur les 63 fermes que compte la commune. Il s’est vu attribuer 22 ha alors que près de la moitié de ses homologues n’ont que quelques hectares à faire fructifier. Est-ce en raison de son appartenance à la Deutches Herr, l’armée impériale allemande qu’il a obtenu cette concession? C’est fort probable dans la mesure où de nombreux officiers ont été ainsi reclassés par les autorités administratives à la fin du premier conflit mondial. La Prusse, noyau spirituel et structurel de l’Allemagne est bien connu pour approvisionner l’Empire en soldats. C’est à partir du XVIIIeme siècle que se fonde cette réputation basée sur une aristocratie très conservatrice et réactionnaire. Il est de bon ton, dans chaque famille bourgeoise convenable d’avoir au moins un descendant qui épouse la carrière des armes.

A leur manière les Gleumann sont une famille aristocratique. Ils sont meuniers de père en fils, aristocratie roturière et campagnarde s’il en est.

Dans “l’Amtsblatt der Preußischen Regierung” (Journal officiel prussien) en date du 13 mars 1920, il est noté qu’à Stolp, le Müllermeister (Maitre-meunier) Paul Gleumann de Klenzin est président de la Commission d’examen pour l’exercice de cette profession.

En 1940, c’est son fils Günter Gleumann qui fait tourner le moulin dans cette commune. Si la filiation directe entre Paul et Hans Gleumann n’est pas formellement établie, elle reste malgré tout, fort probable.

Quoi qu’il en soit, nous sommes ici d’une certaine manière sinon dans l’Allemagne profonde ou pour le moins dans l’Allemagne la plus rigoureuse. Les stéréotypes germaniques ne peuvent que pleinement s’appliquer à cette famille paysanne comme à beaucoup d’autres à cette époque. Pour celles-ci, il ne peut n’y avoir de vie sociale que dans l’ordre, la rigueur et la discipline. Elles ne doivent donc ressentir aucune compassion pour ses prisonniers français, issus d’une population latine et dont la société aux moeurs dissolues ne pouvait qu’engendrer leur décrépitude. C’est cette même doctrine qui nourrira bientôt les partisans de la collaboration.

C’est donc dans ce contexte que mon père, André TOISON,  arrive chez les Gleumann en cette fin du mois de juillet 1940, au moment où les moissons vont commencer.

 

CHEZ HANS,

 

Difficile d’imaginer le premier instant, le premier regard entre les deux hommes. La barrière de la langue qui limite naturellement les échanges même si ceux-ci sont brefs et directifs. Le paysan lui indique son lieu de vie. Une petite pièce sommairement aménagée où il viendra l’enfermer tous les soirs après le travail. Hans Gleumann doit avoir environ cinquante ans. Il y a aussi trois autres personnes qui composent ce foyer. L’épouse de Hans et deux garçons d’une dizaine d’années. Pourquoi est-il là? Pour remplacer un fils ou un garçon de ferme parti à la guerre? Ou bien Hans Gleumann a t-il tout simplement demandé des bras supplémentaires pour l’aider dans ses tâches? Quoiqu’il en soit les présentations ont été rapidement menées et dès le lendemain, il a fallu se mettre au travail.

Mon père a toujours été un manuel. Quelqu’un qui avait aisément l’apprentissage du geste sûr. Avec son beau-père, il avait déjà travaillé aux champs. Il n’était donc pas totalement dépaysé et désorienté par un travail physique. Dresser les bottes de seigle ou d’avoine par faisceaux pour les laisser sécher quelques jours au soleil avant de les emmener au battage, s’occuper des animaux, épandre à la main le fumier l’hiver pour amender les sols tout cela il connaissait déjà. Avec quelques nuances bien sûr, puisque ici cet épandage se fera par exemple directement sur la neige sans attendre le redoux.

Les deux hommes ont dû rapidement sinon s’estimer ou du moins se respecter. Tout en gardant son rang, mon père s’est assez bien intégré à cette vie. Son traitement était équitable en rapport probablement au travail fourni. Chacun avait son rôle, comme en  France, les femmes s’occupaient de la basse-cour, de la traite des vaches, et de tous les travaux ne nécessitant pas un effort physique intense. Les semaines passaient ainsi au rythme des saisons, car telle est la vie dans toutes les campagnes du monde.

Rapidement, mon père a donc dû se plier aux exigences de son nouvel employeur. Celui-ci, en tant qu’ancien officier, avait une autorité qu’il n’hésitait pas à exercer sur son prisonnier français. Privilège et arrogance du vainqueur malgré tout. La semaine avait son rythme de travail bien défini, mais le dimanche était jour sacré chez les Gleumann. En tant que bonne famille luthérienne, la présence à la messe dominicale à l’église paroissiale de Glowitz était un rituel intangible quelque soit le temps. Mon père, qui sans être athée, avait surtout fréquenté

l’église le jour de son mariage, ne manquait pas de s’en amuser. Donc chaque dimanche matin, le programme était le même: “André spannt das pferd an die kalesche ein!” (André attelle le cheval à la calèche !). La première fois, il n’a bien sûr rien compris à l’ordre de l’allemand. Celui-ci a donc dû lui faire comprendre par quelques signes.

Etre réduit à l’état de valet de ferme ne devait pas être du goût de mon père, mais c’est lorsqu’il a vu se découper la silhouette de son patron dans l’encadrement de la porte que sa surprise a été la plus grande. Hans Gleumann avait revêtu pour l’occasion son grand uniforme du temps du Kaiser Guillaume II, toutes ses décorations au poitrail, sabre au côté et casque à pointe sur la tête! Rênes en main, son épouse l’accompagnant, il ne lui restait plus qu’à parcourir au petit trot les deux kilomètres qui séparaient sa ferme du lieu de culte.

Un autre monde donc déjà en 1940, qui ne manquait pas de laisser bouche bée le petit militaire français.

 

Mais la seule idée d’un prisonnier reste bien évidemment, de retrouver sa famille et son pays d’origine.

André TOISON ne déroge pas à cette règle immuable. En tant que soldat de la Croix-Rouge, il espère chaque jour une intervention du Comité de Genève. Il sait peut-être aussi qu’en France, son épouse fait toutes les démarches possibles pour constituer un dossier précisant son affectation sanitaire aux autorités allemandes. Il espère donc une bonne nouvelle et se prépare à cette éventualité. Si près de la mer Baltique dont l’on ressent les embruns, il imagine que ce retour ne pourra se faire que par bateau depuis le grand port de Stettin si proche. Mais comme beaucoup à cette époque, il ne sait pas nager. Le risque de voir torpiller le bateau en ces temps de guerre est bien réel. Mourir noyé sur le chemin du retour...Triste sort !

Sa résolution est prise. Dès le printemps, il va apprendre à nager... seul. Ce ne sont pas les mares et les étangs qui manquent dans cette région marécageuse. Il n’a pas de caleçon de bain mais à quoi bon... Se tremper en tenue d’Adam ne le gène pas puisqu’il n’y a personne. C’est devenu en quelques dimanches, sa principale activité. Jusqu’au jour où l’épouse d’Hans Gleumann ou peut-être une voisine le vît sortir de l’eau dans le plus simple appareil ! “Ach, André...Nei...Nei!” Le soir venu, il ne comprend pas tout du discours de la femme du fermier, mais il déchiffre tout de même que se baigner tout nu n’est pas dans les bonnes manières de cette famille bien-pensante. Dilemme, comment faire? “Ne vous inquiétez pas André, je vais vous arranger çà!” lui répond-elle. Le dimanche suivant, il aura un maillot de bain à peu près à sa taille que sa patronne a confectionné d’une façon assez rudimentaire dans quelques vieux tissus. La pudeur allait pouvoir reprendre ses droits!

 

L’automne 41 est arrivé. Les semaines passent dans une certaine routine. Pas de nouvelles d’un rapatriement prochain. Les travaux des champs suivent leur cours. Le dimanche, les Gleumann vont toujours à la messe. C’est aussi le jour où un gendarme de Glowitz passe contrôler la présence de ses “ouailles”. Voir si personne n’a “emprunté” une vache pour traverser l’Allemagne à pied comme dans le film avec Fernandel. Une certaine intimité, même si elle est exempte d’une trop grande familiarité, finit naturellement par s’installer entre tous ces êtres vivants. Mais à la compagnie des humains, mon père préfère encore bien plus sûrement celle des animaux. Il y a dans cette ferme, un petit chien comme il y en a dans toutes les campagnes. Une sorte de “bon à rien”, incapable de guider les vaches ou de ramener les moutons mais qui sait aboyer à la moindre présence étrangère. Celui-ci répond au nom de “Mampis”. Les paysans font souvent peu de cas de ces compagnons que l’on dit fidèles. Dans les fermes, ils survivent avec quelques déchets ou épluchures quelconques. Mon père avait fini par apprivoiser cet être à quatre pattes. A en faire son compagnon affectif en l’amadouant avec quelques restes de pain ou autres petits délices que le chien apprécie. Mon père a cependant remarqué que celui-ci a une bien mauvaise habitude. Il passe son temps à récolter à sa manière les oeufs que les poules abandonnent aussi bien dans leur pondoir que dans quelques lieux qui leur sont habituels. Il en raffole. Hans Gleumann a bien sûr remarqué que la production de ses poules est anormalement basse. Est-ce le prisonnier français qui gobe discrètement les oeufs ?

Un matin, alors que les deux hommes sont dans la cour, l’allemand a la réponse lorsqu’il voit son chien revenir tranquillement du poulailler, le ventre plein et la gueule encore baveuse de jaune d’oeuf. En quelques enjambées et sans aucune hésitation, Hans Gleumann se précipite alors dans sa maison pour en ressortir un instant plus tard avec un fusil de chasse dans lequel est déjà engagé une cartouche. Le temps d’épauler l’arme et le petit chien est mort.

 

Mon père vient de perdre en quelques secondes et sous ses yeux, le seul être qui lui apportait un peu d’affection dans cette contrée lointaine. Bouleversé, envahi par la colère, mon père empoigne au col son paysan allemand qui se dirigeait vers l’habitation pour y ranger son arme. “Espèce de salopard! J’espère que ce que tu viens de faire ne te portera pas chance!”, lui hurle-il au visage. “Was? Was André...?” lui répond l’allemand un peu surpris pas la réaction de cet étranger. L’incident en restera là. Mais les relations entre les deux hommes ont dû se dégrader à partir de cet instant. Est-ce à la suite de cet accrochage verbal et du geste assez vif envers son patron, ou son temps était-il terminé dans cette ferme, toujours est-il que quelques semaines plus tard mon père quitte les Gleumann pour être transféré dans un autre kommando. Il annotera, à la fin de sa vie, au dos d’une photo ceci: “C’était Mampis, mon bon camarade. Je l’ai pleuré et enterré derrière la grange”.

 

 

Dans son esprit, mon père a fait le reste de sa vie avec l’idée que son petit chien s’était vengé. Des rumeurs lui ont été rapportées comme quoi le bourreau de celui-ci avait connu quelques désagréments avec les troupes soviétiques lorsque celles-ci sont arrivées dans la région et ont occupé Klenzin en mars 1945. C’est fort possible. Près de 10% de la population du village a été tuée ou portée disparue. Les soviétiques n’ont pas manqué de rendre la monnaie de leur pièce aux nazis, civils compris. Ils ont ensuite laissé la place aux polonais qui n’avaient pas oublié pour leur part, les paroles d’Hitler lorsque celui-ci déclarait le 22 août 1939 :

“J’ai donné l’ordre à mes unités de la mort d’exterminer sans merci ni pitié tous hommes, femmes, enfants appartenant à la race de langue polonaise. Ainsi seulement pourrons-nous acquérir le territoire vital dont nous avons besoin.”

 

STALAG IIC

 

Le 16 janvier 1942, André TOISON est transféré vers le stalag IIC. Celui-ci a son camp de concentration à Greifswald dans la province de Mecklenbourg.

Je pense que c’est uniquement un transfert administratif puisqu’il n’ira jamais dans ce camp.

A partir du 28 janvier, il intègre le kommando XIII/108 qui travaille à Stettin et est géré par ce stalag. Il est à plus de 300 km de son petit village de Klenzin.

Le 19 février, il sera dirigé vers le kommando XII/219 toujours à Stettin. C’est une grande ville de 200 000 habitants. Un port important également, situé sur l’Oder qui communique avec la mer Baltique par la Stettiner Haff, l’une des plus grande lagune de la région avec ses 700 km2.

Il va retrouver avec ses kommandos la vie de groupe. La joie donc de côtoyer à nouveau d’autres camarades français mais aussi le désagrément d’un encadrement et d’une surveillance militaire plus stricte. Il va à cette occasion, reprendre contact avec un matériau qui lui est cher : le bois. Mon père va redevenir pendant quelques semaines menuisier. Il va principalement travailler sur le chantier de la maternité de Stettin où il y posera du parquet.

Il retrouve aussi un peu de temps libre le soir et le dimanche, puisque c’est à cette période qu’il fait quelques dessins et sculpte quelques chutes de lames de parquet.

En Allemagne, la situation militaire évolue au cours de l’année 1943.

En février, avec la défaite de Stalingrad, le front de l’est donne des signes d’effritement. Il faut toujours plus d’hommes, toujours plus de soldats, toujours plus d’ouvriers. Avec l’apport de la main-d’oeuvre étrangère, une des solutions retenues par le IIIème Reich va être la transformation des prisonniers militaires en travailleurs civils dans le but de leur demander un travail plus efficace et productif et de permettre également de dégager 30 000 gardiens allemands qui allaient être immédiatement affectés au front russe.

Sous la contrainte, plus de 200 000 prisonniers français vont donc se voir proposer ce nouveau statut, au mépris une nouvelle fois, de la Convention de Genève. C’est probablement pour en atténuer l’effet négatif auprès du Comité International de la Croix-Rouge que l’Allemagne va libérer dans le même temps les éléments sanitaires encore en captivité.

C’est donc à ce titre que mon père, matricule 74852, est libéré le 14 août 1943. Entre transfert et séjour en centres de transit ou de contrôle, ce n’est que deux semaines plus tard, le dimanche 29 août, qu’il descend du train en gare de Château-Thierry et retrouve enfin ses parents, sa femme et ses deux garçons qui après s’être réfugiés en Dordogne au début de la guerre, vivent à la campagne près de Château-Thierry.

Mes deux frères aînés ne le reconnaîtront pas bien sûr. Ils n’en ont aucun souvenir, ayant même un peu peur de celui dont on leur a dit qu’il était leur père, lui cet “étranger” amaigri et fatigué avec sa petite valise en bois, dans sa tenue militaire improbable et dépareillée.

 

 

 

Denis TOISON, Décembre 2011.

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