STALAG IIB   HAMMERSTEIN,   CZARNE en POLOGNE

CAMP de PRISONNIERS de GUERRE 1939-1945 en POMERANIE

 

Antoine MASSACRIER

 

n°  matricule 78295

 

M. Antoine Massacrier, né le 2 août 1914 à Chalmazel, que j'ai rencontré en mai 2010, nous a quittés 2 mois plus tard en Juillet 2010.

C'était un Monsieur très attachant, humaniste, sensible, que j'ai eu un plaisir infini à écouter nous raconter ces moments de vie, si loin de sa famille, dont le souvenir de ces années venait  encore habiter ses nuits.

Un grand merci à lui de nous avoir accueillis et confié le récit de ses mémoires.

 

Quand le hasard fait bien les choses...

Histoire de cette très belle rencontre avec Antoine MASSACRIER

 

Gérard SIMON effectue depuis des années, des recherches généalogiques sur ses ancêtres SIMON.

Originaire du Loir-et-Cher, après des recherches longtemps bloquées en Indre-et-Loire, il découvre que son ancêtre François SIMON est en fait originaire de La Loire et de SAUVAIN.

Scieur de long, François SIMON a fait partie de ces groupes d'immigrés partis loin de leur région en 1735 pour couper le bois dans le Lochois. Il finit par épouser une fille de Pouzay (37) et ainsi se perpétuera la lignée de ce SIMON dans le Val de Loire.

En août 2009, Gérard décide de passer plusieurs jours à SAUVAIN, à la recherche des lieux de ses ancêtres.

Il se présente à l'office de tourisme du village voisin et demande s'il existe un livre sur l'histoire de Sauvain.

La personne lui propose de consulter un ouvrage " Sauvain se souvient ".

C'est ainsi qu'il découvre les noms de 2 anciens prisonniers du Stalag II B et en plus, l'un deux, Antoine MASSACRIER aurait vécu chez sa grand-mère quand il était jeune, à BOIBIEUX un lieu-dit de SAUVAIN, précisément l'endroit d'où sont originaires les SIMON.

Gérard se rend à BOIBIEUX, accoste un Monsieur et lui demande s'il connait une maison où habitaient des SIMON.

Cette personne lui montre sa maison ; il est un cousin descendant des SIMON.

Questionné sur M. MASSACRIER, il explique qu'il le connait et donne son adresse.

Gérard rejoint le village d'Antoine MASSACRIER, rencontre dans la rue son fils qui le conduit chez son père.

Ainsi, aura lieu la première rencontre avec M. MASSACRIER qui lui confie le récit écrit de sa vie.

 

Pendant ce temps, je séjourne à CZARNE, en Poméranie, sur les traces du camp.

Gérard m'informe aussitôt par téléphone de cette rencontre en France et du lieu du Kommando de M. MASSACRIER que je tente de trouver mais mes amis polonais ne trouveront pas le nom correspondant polonais.

C'est au retour, grâce à Marion ma correspondante allemande, que je localiserai l'endroit sur une Google Map, à quelques km seulement du camp.

L'année suivante, en MAI 2010, Antoine MASSACRIER accepte de me rencontrer.

Ce moment très émouvant sera pour moi inoubliable.

 

Renée POUPEAU

Extrait du récit d'Antoine MASSACRIER

 

" FAIT PRISONNIER le 19 JUIN 1940 à FONTAINES près d' ALTKIRCH.

 

Une capitulation sans effusion de sang. Quelle triste journée, abandon des armes. Groupés comme un troupeau de moutons, colonne par 3 en avant marche, direction inconnue. Le soir on nous a mis dans un pré qui était parqué (300 ou 400) avec des mitrailleuses tout autour et pas question de s'évader avec tous ces projecteurs. Le lendemain, toujours colonne par 3 direction Mulhouse sans manger toute la journée. Combien de camarades étaient vraiment fatigués, malheur à eux, car les sentinelles qui étaient chargées d'emmener tous ces prisonniers n'étaient  pas des saints. Ils connaissaient la raison du plus fort. C'est ainsi que les trainards étaient encouragés par des coups de crosses ou de baïonnettes. Et s'ils ne pouvaient pas suivre , alors c'étaient la mort.

Heureusement l'Alsace était française. Tout le long de notre parcours et toute la journée le long de la route, les Alsaciens avaient mis des baquets d'eau où nous pouvions puiser de l'eau, quand les sentinelles ne les avaient pas renversés.

C'était le 20 juin 1940, jour de l'armistice, une chaleur torride.

Grand merci chers Alsaciens.

Nous arrivons le soir, exténués, à Mulhouse. L'usine Schlumberger, vidée de toutes ses machines de filature, sera notre cantonnement pour 40 jours de faim, de misère, entre 4 murs, couchant directement sur le ciment. Comme récipient pour aller à la soupe, je n'ai que mon quart militaire, deux fois par jour, c'est un peu d'eau trouble, c'est à dire pas grand chose. Dans la cour,  à notre arrivée, il y avait des orties le long des murs et un gros cerisier. Mais à notre départ, il n'y avait plus d'orties, de même que des feuilles à l'arbre.

Nous avions tout dévoré.

Deux ou trois fois, la Croix-Rouge nous avait  distribué un morceau de pain qui était apprécié à sa juste valeur.

Encore une fois, nous nous  étions retrouvés avec Aimé Couturier, Jean Roche de Saint-Bonnet, Gourbeyre, Jean-Marie  de Courreau, Rougeot mon ancien équipier de Montluçon et quelques bons camarades.

Nous  étions tous tiraillés par la faim.

De temps en temps, quelques alsaciens gonflés se risquaient jusqu'au portail mais refoulés aussitôt par les sentinelles.

Pourtant, j'ai vu une femme qui nous portait  un morceau de pain forcer la sentinelle à reculer alors qu'il voulait lui enfoncer la baïonnette dans le ventre, il n'osa pas et recula.

Bravo Chère Alsacienne.

Nous n'avions rien à faire qu'à broyer du noir. De tous côtés, c'était une pluie de bobards, tous  plus invraisemblables les uns que les autres, jusqu'à aller en Allemagne pour se faire démobiliser. Toujours dans l'incertitude, les journées étaient longues...

On nous disait que les Allemands  allaient démobiliser les Alsaciens et les enrôler  dans leur armée. Ce qui s'avéra vrai par la suite.

Pendant 40 jours, ce fut  une terrible épreuve.

La faim, le moral à zéro.

Même pas moyen de prévenir la famille que j'étais prisonnier mais vivant.

Tout  autour de  l'usine, on voyait des mitrailleuses. Sur les balcons et même sur les toits.

 

DEPART POUR L'ALLEMAGNE

STALAG IIB HAMMERSTEIN - POMMERANIE

 

Le 30 juillet 1940, l'armée allemande nous distribua un pain, je ne me rappelle plus pour combien.

Puis rassemblement toujours colonne par 3 et direction la forêt de la  Hart le Rhin et Mulheim en allemagne. Nous avons traversé  le Rhin sur un pont bateaux. Bateaux qui sont mis côte à côte  avec des plateaux posés dessus. Je  crois bien que j'avais envie de pleurer en laissant ma famille et la France derrière moi.

 

Mulheim, train, wagons à bestiaux où nous fûmes entassés comme des sardines, avec notre pain sec pour toute nourriture et pour  deux jours.

Encore nous eûmes de la chance car  notre convoi  eut le pain et le train d'Aimé Couturier seulement quelques boîtes de graisse, eux aussi pour deux jours.

 

Le 2 AOÛT, nous arrivions à NEUSTETTIN, Stalag IIB.

 

Dès notre arrivée au camp, on nous a servi des patates, pas besoin de beurre, elles étaient bonnes comme ça. Ensuite la fouille, et jusqu'aux endroits les plus intimes. Ils m'ont pris l'argent que j'avais, ou plutôt tout ce que  je possédais  sauf mon couteau car j'avais eu la précaution de casser la lame au milieu pour qu'il  ne les tente pas.  En retour, ils m'avaient donné une plaque de fer 6 x 4  portant le n° 78295 Stalag IIB que j'ai du porter pendant 5 ans pendue à mon cou à l'aide d'une ficelle.

Deuxième corvée. Comme tous les copains, il fallut mettre ma tête sur la baignoire pendant  que le chleu avec sa tondeuse à raser prenait tous ses plaisirs à me faire une tête de veau.

Puis ce fut la douche, c'était pas  du luxe, après tous ces jours à Mulhouse, ce transport en wagons à bestiaux. Elle était la bienvenue. Et pour terminer le rhabillage à la taulard, la veste avec au dos les deux lettres KG : Krieg Gegangen (prisonnier de guerre). Déjà  une grande remorque attelée de chevaux nous attendait, alors que nous étions en colonne, nous demandant  ce qui allait se passer. J'avais de bons copains, nous avions jusque là  tout fait pour rester ensemble : Aimé Couturier, Rougeol, Préfol.

Mais voilà, nous sommes partis presqu'une trentaine dans cette remorque.

Une dizaine de kilomètres plus loin, première halte. Un ordre : " ces quatre en bas " et en  route pour une prochaine halte : " allez ces 7 en bas " , jusqu'à mon tour " allez ces 12 en bas "  et la remorque continue, mais mes vrais copains du moment ne sont plus avec moi. Dans ma tête il s'en passe des choses....

Quelle drôle de guerre...

Se trouver là, c'est pas possible alors qu'on nous avait dit que la route du fer à Narwik  était coupée et le resterait alors qu'il y avait longtemps déjà que les allemands étaient passés (Paul Reynaud) et que les chars étaient en carton (peut-être) mais chez nous, où étaient les chars ? Quelques pièces d'artillerie tirées par des chevaux. Et les munitions ? Personnellement, non seulement en première ligne je n'avais pas le droit  de tirer pour ne pas dévoiler ma présence  mais je n'ai jamais eu une cartouche !  C'est désespérant. Etre là, comment aurait-il pu en être autrement.

Quelle est loin ma famille, quelle est loin la France !

La reverrai-je et dans combien de temps ?

Enfin de la route où nous a laissé la remorque, toujours colonne par 3 uen sentinelle baïonnete au canon derrière nous, nous marchons sur un joli chemin bordé d'une rangée d'arbres, on se croirait sur une avenue, ce sont surtout des bouleaux.

A un kilomètre, on voit un hameau avec ses longs bâtiments, isolé au milieu de cette plaine, car de tous côtés, aucune construction n'est visible au loin.

FERME Oto WEILLAND, TANNBERG Kreis NEUSTETTIN

Plan réalisé par Antoine MASSACRIER qui m'a permis de retrouver le lieu.


Nous arrivons à une petite montée bordée de chaque côté par des maisons basses ; ce sont les cités ouvrières de la ferme, deux ménages par maison, puis c'est l'entrée du quartier.

A gauche, le château du patron avec perron, sa véranda avec vue sur tout le quartier de 150 mètres de côté.

Côté gauche après le château, ce sont les garages, greniers et baraquements des prisonniers et chambre spéciale pour la sentinelle.

En face, porcherie écurie à chevaux, étable des vaches laitières et les stabulations libres pour toutes les autres.

Troisième côté, face au château, se sont tous les hangars à chariots et machines agricoles, tracteur, atelier de menuiserie et charronnerie.

Le quatrième côté est une très longue construction en bois dont la toiture est assez plate, poutres, chevrons, planchers recouverts d'un carton spécial où une couche de goudron l'imperméabilise.

Cette couche de goudron renouvelée tous les deux ans est vraiment efficace. Sous cette toiture longue, c'était la grange, une série de travées servant à engranger la récolte, gerbes de blé, seigle, orge, avoine. Chaque travée avait ses deux grandes portes, entrée et sortie de l'autre côté, avec sa prise de force entre chaque entrée pour le battage.

La batteuse, lorsqu'une travée était battue, avançait jusqu'à l'autre par le milieu de la grange et ainsi de suite sans passer dehors.

 

NOTRE ARRIVEE A LA FERME.

 

Drôle d'impression.

C'était vers les cinq heures de l'après-midi, on nous emmène directement à notre logement ; salle à manger avec une table, grandeur pour 12 pas trop gros, avec possibilité de circuler autour, mais sans doubler et un poêle rond à charbon.

Chambre à coucher spéciale. A même le plancher, une planche sur chant le long du couloir pour arrêter la paille, une poutre le long du mur servant d'oreiller, au milieu un peu de paille et voilà la place de six dormeurs couchés côte à côte. Pour les six autres, c'est exactement le même procédé, avec un plancher à 1m20 au-dessus.

La sentinelle a sa petite chambre à côté de la notre. Il a un petit lit mais aussi de la paille.

Ce soir là, nous n'avons pas travaillé, nous avons essayé de voir ce qui se passait ; des attelages de chevaux de partout, des chars de gerbes qui arrivaient, les voituriers debout sur ces chars de gerbes, leurs grands chapeaux Mexicains faisant claquer le fouet, on aurait dit des fous à la conquête de l'Ouest en Amérique.

Puis le soir on a gouté la tambouille, évidemment pommes de terre en robe des champs, deux ou trois chacun, je ne me souviens plus. Comme elles étaient bonnes, mais c'était insuffisant.

Je ne peux pas décrire cette première nuit car je ne m'en souviens pas, mais c'était mieux que sur le ciment à Mulhouse.

A notre arrivée, nous étions aussi tous passés au bureau du patron et subi un interrogatoire sur notre profession et situation de famille.

Pour ce faire le patron avait fait venir son beau-frère qui parlait un peu le Français, sans ça, pas un de nous n'aurait compris un mot.

 

Le lendemain matin à l'heure H tous réunis, le patron essaye par geste de faire comprendre qui savait faucher, " Moi ".
Ils m'ont donné une faux et je suis parti faucher avec une bande d'allemands, drôle d'emmanchage que cette faux mais tant pis, tout s'est bien passé. Au casse-croûte de 9 h, j'avais mon petit casse-croûte dans ma poche, il a vite été englouti.
Une dame qui avait apporté celui de son mari, un ancien qui avait fait la guerre de 1914 m'a offert un morceau de casse-croûte, (par vanité) je l'ai refusé, imbécile, moi qui avait faim et c'était de bon cœur qu'elle me l'offrait.
Mes camarades étaient tous partis travailler avec une autre équipe.
Il fallait aussi faire connaissance entre nous.
12 prisonniers presque de tous les coins de la France.
Quittet - Milo du Doubs, Francis - Boillet du Jura, Vallat Conchy des Bouches-du-Rhône , Jules - Casseoucle de la Saône et Loire, Chauler de la Marne, Mauri du Cantal, Légal de Paris et moi de la Loire.
L'entente fut bonne dès le premier jour. Il le fallait car intellectuel ou bougnat, nous étions tous à la même enseigne.
Nous étions tous surpris par le nombre d'ouvriers, le nombre de chevaux de travail, l'importance de cette ferme. 50 ouvriers. Dix familles avec leurs cités 1000 m2 de jardin et les 12 P.G.
Chaque matin, les équipes se formaient avec chacune, quelques prisonniers, mais on se retrouvait tous pour la soupe, la sentinelle suivait les équipes aux champs, toujours armée de son fusil.
Le premier Dimanche, les 12 prisonniers au garde à vous furent mis en rang devant le baraquement pendant qu'un gradé de l'armée est venu spécialement nous lire le règlement concernant les prisonniers de guerre.
Nous devions obéissance, politesse et maximum de travail. De même que nous ne devions pas parler aux femmes et que sous aucun prétexte elles ne devaient rentrer dans notre chambre, etc... De plus, par un vote à bulletin secret nous devions élire un responsable parmi nous. Celui qui sera élu sera le responsable de tous ses camarades en toutes circonstances.
C'était plus qu'une charge, c'était une menace contre le responsable. Personne n'était volontaire, surtout que pas plus l'un que l'autre nous ne comprenions leur langage. Pourtant il fallait le faire, et contre ma volonté ça tomba sur moi,
11 voix contre la mienne, je pris donc la décision d'apprendre l'allemand et le plus vite possible.

 

Maria m'envoya un petit dictionnaire Franco-Allemand qui me rendit de grands services.
En peu de temps, je fus apte à faire face à la situation, à défendre nos droits et à répondre du tac au tac.
J'étais Français et pas Allemand. Je suis fier de la façon dont j'ai défendu mes camarades et moi-même.
Quelques jours après notre arrivée, on nous a donné une feuille de papier qui faisait lettre et enveloppe. Pas besoin de dire avec quel empressement nous l'avons remplie car depuis notre capture le 19 Juin jamais nous n'avions donné de nos nouvelles. J'ai reçu ma première lettre pour la Toussaint.
J'étais heureux de savoir tous les miens en bonne santé, mais c'était avec un cœur bien gros que je pensais à ma dernière permission et au moment pénible de notre dernier adieu ! Pourtant j'avais confiance. Ce fut à partir de ce moment que des colis nous arrivèrent, je ne fus pas le dernier à recevoir le mien. C'était bien la preuve que Maria pensait à moi. Ça remontait le moral et ça nous permettait d'améliorer notre festin, car les 12 camarades que nous étions, mettaient tous leurs colis dans le même placard dont la sentinelle avait la clef. Lorsque nous voulions faire un petit extra, nous n'avions qu'à lui demander.

Mais un jour, dans un semoir à engrais j'ai trouvé une clef, bien sûr tout de suite nous l'avons essayée au placard, ça marchait, alors souvent nous nous servions tout seul.

C'est seulement le jour où il a fallu fuir devant les Russes que la sentinelle m'a dit " Il faut prendre ce que vous avez dans le placard " que j'ai répondu " C'est fait " !
" Mais vous n'avez pas de clef " ," et celle-ci  ! " . Il a été surpris de voir la mienne.
* Incroyables ces Français * Mis tout nus dans un tonneau ils en ressortent habillés cinq minutes après.
 

Chacun de nous est éberlué par l'importance de cette ferme, sur quatre bornes dont on ne voit pas les bouts, aucun hameau ou village alentour. Au loin, on aperçoit une autre agglomération, mais sans en distinguer les ouvertures car leurs champs viennent butter aux nôtres. Ce qui fait comprendre ces distances énormes entre chaque ferme.
En quelques jours, tous ces cow-boys aux chapeaux mexicains ont disparu, c'est nous qui prenons la place. Quelle différence, tous travaillent sans bruit, dans un calme complet.

Pour 16 chevaux de travail, 3 Français et 1 allemand sont désignés.

Pour les conduire et les soigner. Francis, Cassecuelle et moi chacun 4 chevaux.

Pour nous 3, le réveil est à 5 H 30, une heure avant les autres, car il faut les faire manger, les étriller, les harnacher, afin qu'à 7 Heures, ils soient au départ pour le travail (l'heure c'est l'heure) et si la journée est de 10 ou 11 Heures, ils feront le même compte que nous. Pour eux comme pour nous il y a un règlement.

Chaque matin, le voiturier passe au grenier avec son sac, 17 livres de farine par jour et par cheval lui sont pesées par l'inspecteur ou le contremaître. Cette farine mélangée à la paille de blé hachée sera la nourriture quotidienne de ces bêtes. Souvent, nous ne travaillons qu'avec deux, tout dépend du travail à faire. Dans ce cas, d'autres voituriers sont requis, pas un cheval ne reste au repos, il y a du travail pour tous.

Pour les semailles, les labours se font avec 7 ou 8 attelages, l'un derrière l'autre. C'est beau à voir surtout dans ces parcelles si longues, que lorsque nous avons fait trois tours, inutile de regarder l'heure, c'est midi.
Le tracteur fait aussi sa part, avec plusieurs socs.
Avant les semailles, il faut faire une semaine de battage pour les semences et pour les animaux, le reste se battra en décembre, janvier et février, minimum 50 journées.
Il y a aussi les pommes de terre, un sacré boulot, pendant trois semaines, trois machines vont tourner autour de ces champs à raison de 9 heures par jour, les enfants ne vont pas à l'école, ils sont réquisitionnés pour le ramassage avec tous les parents ; même ceux qui ne travaillent pas d'habitude sont mobilisés et répartis autour du champ. Chacun a une certaine longueur à ramasser et à remplir des corbeilles qui sont mises à sa disposition.

 

Trois ou quatre chars espacés les uns des autres tournent aussi autour du champ passant devant chaque ramasseur et vidant les corbeilles pleines, l'inspecteur donne autant de jetons que de corbeilles vidées. Les ramasseurs sont payés tant par corbeille et en fin de récolte. Ces pommes de terre sont mises en silo, ou plutôt en roules sur la terre le long du champ, bien placées pour passer au trieur, calibreur.

50 à 60 hectares de pommes de terre, croyez que ça fait du travail. Ainsi, pendant que les conducteurs de chevaux font les semailles, les manuels à longueur de journée avec leurs fourches se chargent du triage du calibrage des patates qui seront livrées immédiatement en gare ou ailleurs.

Et les pourries ou les gelées iront à la fabrique d'eau de vie. Pour ma part, j'en ai livré des tonnes et des tonnes. C'étaient des pommes de terre de sélection destinées à l'ensemencement de l'année suivante. C'est vrai que c'était de la bonne qualité, car à cette époque, pas besoin de sulfater, il n'y avait pas de maladie, ni de doryphore en Poméranie.
Il y a aussi les choux-raves (rutabagas) une superficie moins importante, une quinzaine d'hectares. La récolte se fait de la façon suivante : Une équipe avec chacun sa pelle, coupe d'un coup sec le collet des choux-raves sur pied et sur deux raies ;  ils sont une quinzaine à faire ça, quatre ou cinq autres avec leurs fourches font des roules et des tas de ce feuillage. Viennent ensuite les voituriers avec leurs chars à foin qui chargent et emmènent ce feuillage et en font un silo dans un endroit spécial près de la ferme, pendant que quatre ou cinq chevaux tournent sans arrêt dessus pour tasser. Ensuite l'arrachage se fait avec deux herses de cinq mètres attelées avec trois chevaux chacune et qui tournent dans ce champ. Si le terrain est sec, c'est du bon travail, bien arrachés, bien propres car ils roulent sous la herse qui passe toujours deux fois (aller retour).

Après c'est le travail des voituriers qui plantent leur fourche dans chaque choux-rave et hop dans le char. Comme pour les pommes de terre, une roule est faite tout le long du champ. Les ouvriers recouvriront cette roule de 30 ou 40 centimètres de terre, sans mettre de paille. Tout l'hiver au fur et à mesure des besoins, ces choux-raves seront rentrés, hachés au coupe racines et mélangés aux blous de seigle pour la nourriture des vaches.

Souvent c'est une dure corvée que l'approvisionnement ; qu'il neige, vente, ou gèle il faut y aller et avec la masse et les coins pour casser cette épaisseur de terre qui les recouvre et ceci tout l'hiver puisque vers Noël lorsque les premiers flocons de neige arrivent c'est fini ce sera le gel et nous ne reverrons plus la terre jusqu'au printemps.
Ceci est du à la proximité de la mer Baltique longue à refroidir et longue à se réchauffer au printemps (l'air marin).
Je me souviens encore du jour de Noël 1940, il faisait un froid terrible, nous n'étions pas assez habillés, Noël ou pas Noël, nous les prisonniers nous avons travaillé toute la journée à couvrir des silos de patates qui risquaient de geler tandis que les civils sont restés au chaud.
Nous avons eu la preuve que le prisonnier est une spécialité à part.
En Poméranie, dès que les premiers flocons de neige arrivent c'est Noël à quelques jours près. Le premier travail est de ranger les chars, il faut sortir et monter les traîneaux, ils seront le moyen de transport jusqu'au début Avril, c'est-à-dire le dégel.
Le 30 Décembre 1944, après-midi le patron nous a envoyé labourer. Nous étions 5 attelages. 5 Français, en arrivant au champ, nous avons vu le patron qui partait en voiture et justement il tombait quelques flocons de neige. Après 4 ans de captivité j'étais rodé. Je connaissais la situation.

J'ai dit à mes camarades " inutile d'atteler les charrues, lorsque la neige aura fondu la direction ne se souviendra pas si nous avons labouré ou pas ".
Noël, naissance du Christ, nous le célébrions à notre façon, selon nos moyens, un petit arbre de Noël, quelques bouts du plus joli papier que nous avions récupéré dans nos colis faisaient offices de guirlandes. Un petit menu amélioré grâce à nos colis. Nous pensions à notre famille en espérant chaque fois que ce serait le dernier à passer derrière les barreaux et plein de tristesse on chantait (Minuit Chrétien).
Personnellement je suis croyant et cette confiance m'aide beaucoup à surmonter mes peines. Je savais qu'à force de patience ce calvaire prendrait fin et que j'en sortirais vivant. Je n'ai jamais eu peur. Je me suis surpris moi-même en voyant avec quel aplomb j'ai toujours fait face aux difficultés qui se sont présentées à moi pendant ma captivité.
Il faut bien dire : étant chef de commando, que la confiance mise en moi par mes camarades était si forte que je me devais d'en être digne. A ce sujet, je crois avoir été à la hauteur.
 

En dehors du travail, notre vie en groupe n'était pas compliquée, chacun avait de la volonté, c'était l'entente parfaite. Colis ou autre, tout était partagé, pas un camarade n'a mangé un demi sucre de plus que les autres.
Un camarade a reçu comme colis en tout et pour tout pendant sa captivité 1 paquet de tabac et une savonnette, et bien ce camarade d'une gentillesse peu commune se dévouait pour nous cuisiner quelques extras pris dans nos colis, il méritait bien sa part comme tous les autres.
(Je vous parlerai plus tard de sa fin tragique).
En dehors du travail, nous avions aussi à nous occuper de notre hygiène, de notre propreté personnelle si nous ne voulions pas voir apparaître des poux (là pas de problème) je coupais les cheveux à toute l'équipe et Jules coupait les miens. Il y avait la lessive, le raccommodage, et l'appartement à tenir propre. Chaque semaine le plancher était lavé. Tous étaient volontaires.
Les loisirs étaient le tarot, la belote, les dames et un peu de lecture.

Souvent à la veillée, Quittet, notre plus instruit, nous faisait faire des dictées, chacun essayait de faire le moins de fautes possible.
Les Officiers Français en captivité ne travaillaient pas. Eux aussi sans doute pour se distraire, avaient organisé un stage de cours par correspondance.
Dans mon commando trois inscrits : Francis, Milo et moi.
Chaque semaine nous recevions notre paquet de devoirs à faire et à renvoyer ensuite pour la correction. Ils nous revenaient parfois avec une belle tartine dure à digérer. Je fus le seul à tenir le coup.

Tout l'hiver 41-42 et en Juin, je passais mon certificat d'études en bonne position. Merci à mes enseignants.
Tous les soirs, souvent jusqu'à 1 heure du matin durant l'hiver j'en avais appris plus que pendant toute la scolarité de ma jeunesse.
En Poméranie Orientale, l'hiver était dur pour les Français, mais il l'était aussi pour les civils. Lorsque le vent se calmait un peu, même avec 25 centimètres de neige et moins 12°, souvent il fallait mener du fumier dans les champs.
Les voituriers comme moi n'étaient pas les plus malheureux car ils restaient sur leurs traîneaux. Arrivés dans le champ ils prenaient la fourche et jetaient le fumier dans la neige de chaque côté du traîneau, aidés en cela par un autre collègue tandis que les civils, en majorité des femmes, les pieds mal chaussés dans la neige (car il n'y avait pas de bottes) émiettaient ces grosses fourchées. Ce traîneau vidé, il en arrivait un autre et l'opération durait toute la journée. Si vraiment il y avait trop de neige, alors c'était un gros tas que nous faisions au milieu des parcelles en prévision des ensemencements du printemps.
C'était une avance pour la bonne saison. Avril, mai et Juin, il y avait l'orge, l'avoine, les pommes de terre, les choux raves et beaucoup d'engrais à semer. Les engrais il faut en parler. Je me suis rendu compte de l'avance qu'ils avaient sur nous, dans les Monts du Forez.

 

C'est vrai que c'était une ferme où les ingénieurs agronomes venaient faire leurs stages. Le terrain était étudié, analysé de façon à ce que chaque parcelle, chaque année reçoive la dose d'engrais correspondant à son bon rendement.
L'ensemencement était étudié de telle façon ; chaque série avait son système de roulement où il était facile de savoir par exemple ce qu'on sèmera dans dix ans dans la parcelle.
A-6 Série A ou B-4 dans la série B ou C-8 dans la série C.
 

Plusieurs sortes d'engrais étaient nécessaires. Le mélange était fait à la ferme, selon les parcelles et l'analyse du terrain.
Nous recevions l'engrais par le train en wagon entier.
Au sujet de l'engrais, pour nous, c'était aussi une occasion de les aider à perdre la guerre.
*Une fois nous avons creusé un trou dans un champ et avons enfoui 3 ou 4 sacs, comme ça il était plus rapidement semé et nous savions qu'il ne ferait rien pousser *.
Chacun de nous avait son astuce pour leur faire des vacheries, lorsqu'au printemps, nous repiquions les rutabagas. Je labourai avec une machine à 3 raies. Comme pour ramasser les pommes de terre, l'inspecteur mesurait une certaine longueur pour chaque ouvrier chargé de repiquer. Pas d'outil. Une poignée de terre prise sur la crête de la raie exactement à la place où devait être mis le chou et reposée dessus le chou et tassée.
Spécialité Milo : Il doublait le chou par le milieu, d'un côté de sa poignée sortait le chou et de l'autre la racine (sans être vu...)
Spécialité Quittet : C'était le ramassage des pommes de terre. Même longueur que les autres, moitié moins de corbeilles pleines (secret) deux pommes de terre dans la corbeille, deux enfoncées dans la terre avec le pied. Il avait raison puisqu'on ne le payait pas à la corbeille comme les civils mais 60 centimes les jours de travail.
Spécialité Alex : Un Belge assassin de poules. Un samedi, nous avons dit: "Alex, demain tu nous fais manger une poule", "d'accord". Il faisait le vacher et dans le local où il lavait ses bidons les poules y étaient toujours fourrées. Il prit donc une pelle et v'lan. une tête séparée du corps. L'affaire aurait réussi s'il n'avait pas été vu. Il avait pourtant eu le temps de jeter le cadavre dans la cave à pommes de terre qui se trouvait en face, avant qu'une cuisinière vienne aux nouvelles. Il y avait du sang partout sur le ciment. Affolée elle passe à la cave prendre des pommes de terre et met la main sur la poule et l'emporte à la cuisine. Lorsque je suis rentré de livraison les copains m'ont appris le résultat.
Je suis allé immédiatement voir la direction en demandant ce qui s'était passé. J'entendis donc toutes les plaintes et à mon tour je fis comprendre que ces poules lui faisaient des saletés sur ses bidons et que c'était un nerveux qui s'était laissé emporter par la colère, que c'était un accident. La patronne me dit : " Je voudrais bien vous croire Antoine ". Je sentais qu'il restait un doute. C'était vrai car quelques jours plus tard un sous officier Allemand rappliqua à la ferme et lorsqu'ils furent dehors avec le patron, j'entendis hurler deux noms " Alex - Anton "
Tous les deux, nous nous présentons devant nos juges.

Devant le sous-of " Alex, combien tu m'as tué de poules ? "

" J'en ai tué une chef ",

" tu n'en as pas tué d'autres ? "

" non chef "
Une petite réprimande. Terminé, je n'ai pas eu à intervenir. Personnellement, il m'en était arrivé une drôle aussi qui aurait pu avoir des conséquences graves.
Avec l'accord du patron nous avions fait un petit jardin derrière notre baraque pour planter du tabac national.
Les poules venaient s'y mettre à l'ombre, pour nous c'était tentant. C'était la seule viande que nous pouvions leur voler ; alors un jour je prends un bâton et la première à ma portée reçut la confirmation. K.O je la mis dans une musette et jetais le tout au milieu du tabac.

Lorsque deux minutes plus tard je revins tout fier, accompagné d'un copain, voulant lui montrer mon exploit, la poule courait à travers, avec ma musette au cou. Inutile de dire qu'un nouveau coup de bâton mit le volatile hors d'état de nuire, il fut cette fois enterré entre deux pieds de tabac en attendant la nuit pour la rentrer car nous ne pouvions rien cacher dans la baraque, les fouilles étaient trop fréquentes et imprévues. La cuisson se faisait la nuit lorsque nous étions fermés à clef.
Pour le chauffage nous avions un poêle rond bois-charbon, nous pouvions chauffer à volonté mais nous n'avions pas droit au bois ni au charbon. Alors ! devinez la suite...
 

A la ferme le charbon (en briquettes) arrivait en gros c'est-à-dire un wagon entier, il était déposé dans un hangar fermé avec un cadenas ; quand nous voulions du charbon, le soir avant qu'on nous ferme à clef dans la chambre, nous partions à 3 avec une corbeille.
Arrivés devant ces grandes portes, deux écartaient les deux battants par le fond et le troisième se faufilait à l'intérieur et le charbon sortait par briquettes pour remplir la corbeille et même opération pour le copain, il sortait avec la même méthode qu'il était entré. Un jour pourtant, j'ai eu du pot.
A l'écurie les voituriers, même l'hiver, finissaient leur travail vers les neuf heures du soir, longtemps après la nuit tombée. Ce jour le travail fini nous rentrions à la baraque lorsque sur nous se braqua une lampe électrique, moi qui portait ma capote sur le bras comme d'habitude.

Le porteur de cette lampe, c'était le patron, voyant que je portais quelque chose qui faisait quand même du volume, il croyait me prendre en défaut, il m'a dit :

" Was schleppen sie hie Anton ?"    " Qu'est ce que vous traînez là Anton ? "

"Das ist nicht un pferd. Das ist mein mentel Chef " " C'est pas un cheval, c'est mon manteau chef je m'en fous de vos chevaux".

Le lendemain à la même heure et au même endroit nous l'avons encore rencontré avec sa lampe, mais au lieu de la braquer sur nous, il éclairait par terre, je l'avais mouché la veille.

Heureusement pour moi car je portais une corbeille de charbon sur l'épaule.
Je l'aurais sans doute payé cher, il aurait fallu savoir comment nous étions entrés dans ce dépôt. J'ai eu chaud.
Mais sauvé pour cette fois
C'était en 1943 ; ça n'allait pas très bien pour Francis, ça lui arrivait de rouspéter pour rien et même souvent de casser quelque chose et comme moi il encaissait mal une remontrance, si bien qu'un matin que je n'étais pas là, il s'est disputé avec le patron et lorsque je suis entré à midi il me dit :

" je veux partir au camp, le vieux m'emmerde, je pars au camp, toi tu ne sais rien ".
J'ai essayé de le retenir mais en vain.

" Ne t'inquiètes pas, tu as le temps d'arriver au camp avant que le patron s'aperçoive de ton départ "  lui dis-je.

En effet le camp était à 8 ou 9 kilomètres de notre ferme, nous reprenons le travail à 2 h.
Il avait donc 2 heures et demi avant que la fugue soit découverte .
L'après-midi, je devais hacher de la paille pour les chevaux, à cause du mauvais temps, je n'avais pas attelé. Au bout d'un moment, l'inspecteur me dit :

" Wo ist Francis ? " Où est Francis ?"

" Je ne sais pas "

- un quart d'heure après il revient :

"Anton wo ist Francis ? "

" demandez au chef il le sait lui. "

Un moment après, il revient encore et bien sûr pose la même question.

Ma réponse : " je vous ai dit de demander au chef qu'il le savait lui "  (celui que j'ai toujours appelé chef c'était le patron).

Ce fut fini le patron ne m'en parla jamais.

 

Quelques jours plus tard, je reçus une lettre de lui clandestinement bien sûr. Il m'expliquait son aventure, pas toujours drôle. Au camp il avait été puni 2 ou 3 jours, on voulait le renvoyer à la ferme, il avait refusé, alors on l'avait envoyé dans un commando ou le travail était dur.
Disciplinaire. Je lui écrivais aussi en l'appelant mon frère. Ma lettre n'avait pas été contrôlée. Nous le regrettions, c'était un bon copain.

 

Quelques temps après son départ en allant chercher ce schlemp de la fabrique d'eau de vie, je menais les bidons de lait jusqu'au village voisin où le laitier les prenait. C'est partant de la ferme à une petite descente devant les cités où le chemin est bordé d'arbres qu'un de ces bidons s'est renversé, je monte sur la marche pied pour le relever, mais c'est à ce moment que mes chevaux se sont approchés trop près d'un arbre et j'ai été coincé entre ma grosse tonne et cet arbre.

Je me suis vu par terre K.O
j'ai eu la force de dire à mes chevaux de s'arrêter ; ce qu'ils ont fait. Les civils m'ont emmené à la ferme et de là, à l'hôpital du stalag (camp) où je suis resté une dizaine de jours.

Ensuite je devais aller en convalescence au camp, mais un quart d'heure avant de sortir de l'hôpital je vois mes deux chevaux qui attendent devant la porte ; j'ai cru qu'un autre accident était arrivé à un copain. Je suis sorti en courant pour demander des explications à ce jeune allemand qui m'a dit: " je viens te chercher "

" comment tu viens me chercher ? je dois aller en convalescence au camp, je ne retourne pas à la ferme aujourd'hui "

Dans moi-même, j'étais plus que content, le camp ne m'intéressait pas, je n'y avais pas de copains, plus de colis et puis je ne pouvais pas pirater pour remplir mon ventre. Seulement je voulais laisser croire que je ne revenais pas par plaisir mais forcé.

" et bien " lui dis-je " je vais voir le docteur avant de partir " ce que je fis.
Alors le docteur (un Polonais) me fit un papier :
* Erste woche ruhe . Zweite woche leicht arbeit. Une semaine repos, deuxième semaine travail léger. *

Comme ça j'étais fort.

J'étais tout juste entré dans la baraque que le patron était déjà là questionnant, demandant des nouvelles.

Je lui montrais mon papier.

" ça ne fait rien Anton si vous ne travaillez pas,  pourvu que vous soyez là, sans vous tout est désorienté, même vos camarades, ça ne va plus ".

Moi qui ne voulait pas lui faire voir que j'étais content de revenir, je suis passé à l'attaque. Je lui demandais de quel droit il me faisait venir avant ma convalescence et qui l'avait si bien renseigné.

Il m'avoua que c'était un sous-officier d'une commune voisine.
Alors moi je lui ai dit : " si je voulais, je vous ferai enfermer en prison tous les deux, vous et votre unter-offizier ".
Tout s'arrêta là. Je pris donc ma semaine de repos, et forçais le moins possible la deuxième semaine et puis tout rentra dans l'ordre.

A tout ça, il faut ajouter que Francis étant parti quelques temps avant, il avait peur que je ne revienne pas.
Il savait très bien que ce départ m'avait refroidi.
Au mois d'août 1944, le patron prit trois semaines de vacances à Colberg, port de la Baltique, à 60 Kilomètres de la ferme (Tanneberg). Nous avions déjà un inspecteur et un contre-maître, mais pour le remplacer il prit un autre inspecteur, cet homme n'était pas mauvais, pourtant il voulait faire voir qu'il n'était pas venu pour rien et pour marquer son autorité, il commença le premier jour en me disant : " Anton, à partir d'aujourd'hui, tous les matins vous nettoierez et sortirez le fumier des chevaux "

Inutile de dire que ça ne me plaisait qu'à moitié, car c'était un travail supplémentaire. Pris sur le vif, ma réponse ne se fit pas attendre.

" Chef, il y a 4 ans que nous sommes ici, nous ne l'avons jamais fait. C'est pas que je ne veux pas, c'est que nous n'avons pas le temps, ou alors, qu'on nous donne que 3 chevaux à soigner au lieu de 4 et nous le ferons. "
 

Le lendemain à 5 H 30 l'ancien inspecteur arrivait en même temps que nous aux écuries et s'asseyait sur une botte de paille. Moi, flairant le piège, je dis à mes gars.

" Ce citoyen n'est pas là pour des prunes, il veut contrôler le temps que nous mettons à faire notre travail, arrangez-vous pour en avoir jusqu'à 6 H 45 de façon à ce que nous ayons juste le temps de boire le café et nous débarbouiller avant de partir au travail ".

Nous avions gagné, le lendemain Milo, après avoir mené le lait au village voisin fut chargé du nettoyage à notre place et les trois semaines se passèrent dans les meilleures conditions avec notre nouvel inspecteur.
Puis les vacances terminées, le patron fit son apparition aux écuries à 7 Heures et après les politesses d'usage :

" Anton, tous les matins, il faudra sortir le fumier des chevaux "

J'avais dis non à l'autre inspecteur, j'allais pas dire oui au patron. Ma réponse reprit exactement les mêmes mots que ceux que j'avais dit à l'inspecteur.

Pour la première fois il proféra une menace !
" Anton, si vous ne le faites pas, je porte plainte auprès de la compagnie "

Ma réplique fut encore plus cinglante :
" Chef, faites ce que vous avez à faire, ça sera comme ça  ! "
Ce fut tout pour ce jour. Je savais que c'était un bras de fer entre nous deux.

J'attendais le jour où je devrais faire face aux autorités militaires. Quelques jours plus tard, je vis arriver un gradé chleu, je me dis " attention, Toine ", " c'est sans doute pour toi ".

En effet, après avoir conversé avec le patron, il entra dans notre baraque.

Pas trop mal tourné, il me dit " J'ai vu le patron, il est content de vous, mais il voudrait.... (ce que j'ai déjà dit plus loin) " et que Francis aille travailler ".

Je passais donc à l'attaque et à la défense.
" Vous dites que le patron est content de ses P.G et bien allez lui dire immédiatement que nous, nous ne sommes pas contents de lui et que si cette comédie continue, je demande la relève complète du commando.

De plus Francis ira travailler lorsqu'il sera guéri et pas avant "

et je continue : " vous venez ici pour nous dire que nous devons travailler, d'accord, mais de nos intérêts vous connaissez quoi, j'ai un gars qui fait le vacher, le patron devrait le payer combien ? "

"Ich weis nicht."
" Nous les voituriers qui commençons à 5 H 30 combien il devrait nous payer ? "

" Ich weis nicht " (je ne sais pas)
" Alors vous ne savez rien du tout ! "
Il est reparti con, comme il était, heureux de se sortir de là.

Mais à l'écurie rien ne changea. Encore quelques jours et ce fut au tour d'un officier de venir rendre visite. Bien sûr, je dus encore me présenter, au garde-à-vous, salut réglementaire, j'attendais quelques beuglées, et non, ce fut sur un ton amical qu'il me dit :

" Monsieur Weilland serait content si pendant ces grosses chaleurs vous vouliez bien sortir le fumier des chevaux, après tout rentrerait dans l'ordre ".

La réponse ne traîna pas : " Qu'il commence par sortir celui qu'il y a, il y en a haut comme ça ".

Demi tour réglementaire et je repris le manche de la charrue que le patron soit content ou pas, cela m'importait peu, j'avais dit non et j'ai gagné mon bras de fer une fois de plus.

Ce ne fut pas le seul.
 

A la ferme il y avait un couple de vachers, plus un jeune homme qui fut appelé par l'armée.

Milo dû le remplacer. Ce vacher était un pur nazi et Milo devait subir ses brimades et se taper le boulot, tandis que l'autre restait de plus en plus chez lui et gueulait encore plus fort lorsqu'il revenait, jusqu'au jour où Milo me dit " Antoine, je ne veux plus travailler avec le vacher "

Il m'expliqua pourquoi. " Bon " lui dis-je, " après la soupe tu viendras avec moi, nous irons voir le patron."

Je demandais donc si le patron pouvait m'accorder une entrevue ce que j'obtins sans peine.

En compagnie de Milo, j'abordais donc le sujet de notre visite. Pourquoi Milo ne voulait plus travailler avec le vacher.

Le patron nous laissa dire ce que nous avions à dire, puis à son tour il me dit : " oui, le vacher quand il est là, il en fait pour deux ".

"Mais, c'est pas vrai chef, nous n'avons jamais vu un homme faire du travail pour deux. Moi, je ne vous demande qu'une chose, pendant une semaine contrôlez combien il passe d'heures aux écuries et le travail qu'il fait."
Je n'ai jamais su combien il avait passé d'heures, ni le travail qu'il avait fait pendant la semaine, mais ce que j'ai vu c'est qu'au bout de la semaine le couple déménageait et Milo était chef vacher.

Il continua son travail avec le renfort que le patron lui envoya, jusqu'au jour où un autre couple arriva et tout rentra dans l'ordre. Tous étaient satisfaits.
 

DECLARATION DE GUERRE A LA RUSSIE
 

En Juin 1941, lors de la déclaration de guerre à la Russie, d'après Hitler les Allemands devaient redoubler d'efforts au travail en faisant plus d'heures.
Le règlement qui s'appliquait aux allemands s'appliqua ! encore davantage aux prisonniers (aux esclaves).
 

Un jour où j'étais occupé à labourer, le patron vint à ma rencontre et m'expliqua qu'à cause de la déclaration de guerre à la Russie, il nous demandait de travailler une heure de plus par jour (nous faisions déjà 10 H).
 

Ma langue était déjà bien leste pour cracher de l'allemand, je répondis que s'ils avaient déclaré la guerre à la Russie, c'était pas de ma faute, que je n'avais rien à voir avec. Quand à l'heure supplémentaire, il ne fallait pas y compter.

Et j'ajoutais : " Chef, moi, ne me prenez pas de travers ou alors vous me perdrez ".

Ce fut terminé pour ce jour. Mais le lendemain avec bonne humeur, il remit cela. Antoine, il faudra travailler une heure de plus, je vous donnerai 10 centimes de plus (60 centimes pour la journée).

J'acceptais, car je savais que je ne pouvais pas aller contre leur règlement.
Je devais toujours réfléchir, quand c'était mon droit, je ne capitulais pas, mais si c'était impossible, je n'insistais pas.
La déclaration de guerre à la Russie fut la grande euphorie pour les civils, sauf un ancien sous-off de la guerre 14-18.

Ce fut une attaque éclaire accompagnée d'un discours d'Hitler qui leur avait dit " Drei wochen Rusland caput " trois semaines et la Russie est vaincue.

Je ne crois pas que le patron ait été de cet avis. Il ne me l'a jamais dit, mais le sous-officier lui, du premier au dernier jour m'avait toujours dit : " Hitler ist feruct, wir aben nimal gesen gegen gantz welt Deutchland ein krieg geniven "  (Hitler est fou, on a jamais vu l'Allemagne gagner une guerre contre le monde entier).

 

Lui, c'était le forgeron, le maréchal ferrant de la ferme, un homme voûté, qui faisait presque pitié à voir. Parce qu'il ne voyait pas les choses de la même façon que les autres, ceux-ci disaient que c'était un communiste, pourtant personne ne l'avait vendu.
 

FIN TRAGIQUE D'UN AMI POLONAIS
 

L'hiver 42-43 fut comme les autres, un hiver très froid avec beaucoup de neige.

Un jour avec mes chevaux ou traîneaux, j'étais allé livrer un chargement de grains dans un moulin dont je connaissais bien le patron pour y être souvent allé.

La main d'œuvre était toute polonaise, des amis quoi. Comme il faisait très froid, ils m'avaient invité à me chauffer près du brasero, cinq minutes, tranquille à discuter, lorsque arrive un vieux chleu, un hitlérien plutôt, qui prend immédiatement part à la conversation.

Encore une fois je sentais le piège, je mis donc ma langue dans ma poche, j'eus raison.
Le vieux reprochait aux polonais qu'ils étaient bons à rien et tout un tas de choses, alors que le plus âgé des polonais répliquait que les Allemands perdraient la guerre, et qu'ils seraient bien obligés de restituer la Poméranie et la Prusse Orientale, qu'ils avaient volé à la Pologne et que la frontière reviendrait à son ancienne limite.

Ça tournait au vinaigre, l'homme d'Hitler ne l'entendait pas de cette oreille.

Pourtant la preuve est faite, le Polonais avait raison. Il était trop tôt pour le dire.

Oui, mais cette vieille crapule dénonce le jeune polonais. Le lendemain tous les polonais des environs furent convoqués à venir assister au spectacle près du moulin.
La consigne, ils devaient regarder l'objectif et non se retourner. Il y avait le long du chemin près de ce moulin un arbre (veme) dont une grosse branche traversait le chemin. Je l'ai vu plus de cent fois cette branche. Quand apparu un tracteur attelé à une remorque et le jeune polonais debout avec la corde au cou, la remorque s'arrêta dessous cette branche qui servit à attacher la corde et la remorque s'en alla...
 

Je ne vous dis pas le reste. Non seulement ça suffit. C'est beaucoup trop.
Avec les Polonais, nous étions Amis, car ils étaient mal vus et plus malmenés que nous par les Allemands. Comme les Arabes, avec les gros colons en Algérie.
La comparaison est bonne.
 

Comme cruauté, les Allemands n'étaient pas à une pendaison près, ni aux coups de crosses de fusils.
La raison du plus fort est sans limites.

Dans une autre ferme, dont les champs jouxtaient les nôtres, il y avait une grande étendue de pommes de terre et pour l'arrachage, le patron envoyait chercher au camp deux remorques de P.G Russes.

Une soixantaine dont certains ne tenaient plus debout, tellement ils étaient faibles.

Nous, nous étions à 200 mètres quand nous en avons vu un tomber près d'un silo.

Dès que la sentinelle s'en est aperçu, il y est allé et nous l'avons vu taper à grands coups de crosse.
Le Russe ne s'est pas levé et n'a plus bougé de la journée. Vous pouvez deviner la suite.
Les Russes ont été beaucoup plus malheureux que nous.

La Russie ne faisait pas partie de la convention de Genève, donc les P.G n'avaient aucune loi pour les défendre. Pas de croix rouge, pas de courrier, pas de colis.
Pour les chleus , les Russes, comme les Juifs, c'étaient des bêtes noires qu'il fallait exterminer.
 

Après la déclaration de guerre à la Russie, cette avance éclair,  26 000 PG furent amenés au camp au début de l'hiver 41-42.

Au printemps 42, déjà une grande partie étaient morts, malnutrition, les poux, le typhus.

Nous, nous avions été piqués contre le typhus, mais eux non.

Tout l'hiver avec des remorques, ils empilaient les cadavres comme un char de fagots et les conduisaient dans une fosse que d'autres camarades creusaient à longueur de journée, et lorsque la journée était finie, ceux qui avaient travaillé ne remontaient pas de la fosse, certains étaient déjà morts mais les autres une balle à chacun les faisaient passer de vie à trépas ; comme ça le secret était bien gardé, pas un Russe ne peut dire mon camarade est enterré là.
 

Mais lorsque les Russes leur ont pris le dessus, les atrocités ont changé de camp.

Tout en fonçant vers Berlin ils prenaient leur revanche et leurs plaisirs ! Ils leurs rendaient la monnaie de la pièce et commettaient les mêmes horreurs.
Exemple : A Rutnau, en haute Silésie (Pologne) ou plusieurs femmes religieuses ou non durent chacunes recevoir les fougues de 15 à 25 Russes.

Ceci nous a été raconté par les habitants de ce village pendant les deux jours que nous y sommes restés en attendant que la voie soit réparée pour continuer notre retour en France.
 

Pour les Français, ce n'était pas la même chose, nous étions considérés être des hommes, nous avions la convention de Genève, souvent difficile à faire appliquer mais elle était là, elle nous donnait droit au courrier à la Croix-Rouge, aux colis, et à nous faire respecter.

De plus nous n'étions plus en guerre et surtout Hitler aurait bien voulu que la France collabore avec l'Allemagne.
Au début, dans mon commando, deux sentinelles avaient voulu se servir de la crosse de leurs fusils, pour faire marcher les Français plus vite. Ça ne leur avait pas réussi deux jours plus tard, ils étaient partis sur le front Russe.
Notre patron avait été réglo. Pour nous, c'était encourageant de savoir que s'il y avait des fous, il y avait aussi des hommes dotés d'une conscience.
 

Pour le travail, il fallait savoir quand bosser.
Certains moments, personne ne pouvait contrôler le résultat. C'était le moment de tirer au flanc.

Ainsi, un automne pendant une période vraiment sèche, nous devions défaire un champ de trèfles au cultivateur, leur système de culture étant de défricher la motte avant de l'enfouir à la charrue.

Nous partions donc avec une douzaine de chevaux et nos cultivateurs et pendant la moitié du temps nous tournions dans ce champ mais même si nous montions sur nos cultivateurs, les dents ne voulaient pas rentrer dans le sol... alors l'autre moitié du temps et comme c'était en bordure de la propriété, il y avait des arbres. Un gars montait un peu haut afin de voir au loin si le patron ou un inspecteur venait dans notre direction.

Le cas échéant, nous avions tout le temps de mettre tout en branle avant qu'il puisse voir que nous étions arrêtés, ainsi passait le temps, et lorsqu'à midi nous rentrions, pour arranger le tout, je disais au patron :
" Là-bas, nous perdons notre temps, c'est tellement sec, les cultivateurs n'y font rien "  "Tanpis Anton, il faut continuer."

Et le soir nous remettions ça et dans les mêmes conditions et pendant une semaine.
 

Un jour le patron me demande : Anton, combien faut-il de temps pour labourer la parcelle B.6 ?
Comme je me doutais que se seraient les copains qui la laboureraient, j'ai mis un peu de marge.

Deux jours plus tard, comme j'avais prévu, il a envoyé mes gars labourer. Je ne sais pas s'il les a pris arrêtés, ou quoi, mais à midi alors que je rentrai d'une livraison il me dit :

"Anton, vous irez labourer ce soir, quand vous n'y êtes pas, vos camarades ne font rien ".

Bien sur je n'ai pas répondu, puisque je ne savais rien.
Mais l'après-midi en arrivant au champ quand j'ai vu ce qu'ils avaient tourné, j'ai dit c'est bien les gars le patron n'est pas raisonnable, ne vous inquiétez pas, nous en ferons moins ce soir.

Pas de chance, le patron est venu, il est resté tout l'après-midi à se promener dans le champ.

Pas question de faire une pause comme d'habitude, je menais la bande et je trouvais que ça avançait trop, je tournais donc au ralenti, autrement nous aurions terminé la parcelle. Ce que je ne voulais pas.
Je pense que ça devait le ronger, mais il ne m'a pas dit d'activer.
Quelques jours plus tard, nous étions dans une autre parcelle avec tous nos attelages.

Quand le patron, une fois de plus, a fait son apparition pendant tout l'après-midi.
Bon, si c'est comme ça, mon caïd, tu en auras pour tes sous. J'ai donc passé la première au ralenti et sans jamais nous arrêter, nous avons tourné jusqu'à l'heure de dételer.
Alors le patron s'est approché et bien gentiment m'a dit :
" Vous voyez, Anton, si vous aviez roulé un peu plus vite, vous finissiez la parcelle" .

Je lui dis : " mais Chef, cette largeur qui reste,  elle va jusqu'au bout du champ. " 

Ah bon !. Il était bien resté tout l'après-midi, mais il n'avait pas vu le bout lui !
Et puis, c'était en 44, le culot ne me manquait pas, je lui dit :

" Vous ne savez pas pourquoi c'est pas fini?"

" non "

" c'est parce que vous êtes venu "

" c'est pas vrai ",

" si chef, chez nous en France, on nous fait confiance, nous n'avons pas une sentinelle derrière le dos à longueur de journée ".

Ça n'alla pas plus loin.
 

Il prit même le manche de ma charrue pour finir la dernière raie avant de dételer.

 

Il faut bien que je parle de ce joli travail qui consiste à la plantation des pommes de terre.

Après préparation du terrain, enfouissement du fumier par un profond labour, et un hersage sans fin pour ameublir la terre, je conduisais une machine - largeur 6 raies - deux roues porteuses, une à chaque extrémité. Entre ces deux roues, six autres roues sans jante, mais simplement une palette au bout de chaque rayon faisait le trou pour mettre la pomme de terre.

Résultat : chaque roue intermédiaire, espacée, donnant la largeur de chaque raie, et chaque rayon donnant la distance entre chaque pied de pomme de terre : très joli travail.

Une douzaine d'ouvriers, avec leurs sacs sur le ventre comme chez nous, mettaient les pommes de terre (pour ce faire un char de pommes de terre les suivait tout le long du champ et distribuait selon la demande) c'était le rôle du voiturier, dès ce char vide un autre prenait la place. Le travail était plus rapide que chez nous. Les pommes de terre au lieu de rouler restaient dans les trous.
Ensuite, une autre machine à 6 raies, tirée par trois chevaux labourait les 6 raies à la fois (les comblait).

Ainsi, une dizaine d'hectares étaient mis en place chaque jour.

Quelques jours plus tard, c'était au tour de la herse. Puis à nouveau labourage, hersage.

Le labourage continuait jusqu'au début août et deux attelages avec leurs deux machines à trois raies étaient chargés de ce travail. Aussi il n'y avait jamais un brin d'herbe, le chiendent n'existait pas.
Quelle compétence, quelle différence avec notre système de travail. Ces raies alignées à perte de vue les unes contre les autres, on aurait dit des traits tirés au crayon, ça valait le coup d'œil.
 

Nous avions deux faucheuses américaines Bering les mêmes que chez nous, mais avec un avant train pivotant, c'est-à-dire deux petites roues et pas de timon, ce qui prouve que le terrain était plat, puisqu'il n'y avait aucun moyen de freinage. Un simple palonnier pour atteler les chevaux.

Pour les chevaux, c'était moins fatigant sans flèche. L'inconvénient, il n'y avait pas de système pour reculer.
Les deux premières années, nous fauchions avec les deux machines. Un vieil allemand en conduisait une et moi l'autre. Mais ce vieux perdait la vue et c'était trop dangereux pour lui car il n'avait aucune prudence.
Les trois dernières années, je dus faucher tout seul j'étais tranquille, je prenais deux chevaux le matin et les deux autres le soir (10 ou 11 heures par jour et cela pendant 18 ou 20 jours).
C'étaient des prairies artificielles. 2 parcelles l'une contre l'autre. Durée 2 ans.

Exemple : une semée en 1940, l'autre en 1941. Chaque année la plus ancienne était défrichée et une nouvelle était semée. Deux jours de séchage et l'herbe était mise en roule. Arrivaient les ouvriers avec leurs fourches qui en faisaient des tas (cuches) deux ou trois jours après selon le temps. Les ouvriers revenaient et tournaient cette fourchée sans dessus-dessous, c'était tout et le seul travail pour sécher le foin.
Pour rentrer ce foin, c'était rapide, cinq ou six chars roulaient. Deux équipes de deux pour charger, la première commençait 10 minutes avant l'autre, ce qui permettait un décalage soit pour rouler et arriver au monte charge l'un après l'autre.
Ce monte charge était placé en dehors des bâtiments (fenière) passait sur le toit et pointait son tapis roulant dans les lucarnes selon la demande.
Pour les moissons, c'était le travail des conducteurs du tracteur et de la lieuse. De jours ou de nuit, ils moissonnaient tout.

Plus de 50 jours de battage. En cinq ans, j'ai moissonné seulement deux jours avec la lieuse à chevaux, parce que ça pressait trop. Le grain était trop mur.
Derrière la lieuse, c'était au tour des ouvriers à longueur de journée. Ils plantaient ces gerbes par dix, comme chez nous. Quand c'était fini de planter, un inspecteur comptait tous les paquets de gerbes et déjà le compte rendu était fait, il connaissait le résultat de la récolte.
 

Vous voyez, ce n'est pas le travail qui me faisait souffrir, c'était surtout l'absence des miens, cette affection qui me manquait.
 

Ces pauvres cartes sur lesquelles on pouvait tout juste dire que tout allait bien, sous peine, d'être puni ou censuré.
Nous avons souffert du froid car nous étions trop mal habillés.

Maria m'avait envoyé un veston de travail. J'en avais eu grand soin, j'étais fier avec ça. Un de nos problèmes, c'étaient les chaussures.

En 1943, je n'avais pas de chaussures lorsque nous avons planté les pommes de terre.

J'ai marché pieds nus tout l'été et jusqu'à fin octobre où j'ai reçu une paire de sabots, faits par mon oncle Aimé Massacrier de Boibieux et que Maria m'avait envoyés. Ces sabots m'allaient comme un gant. J'étais content.
Ainsi avec ses hauts et ses bas, la vie continuait sans jamais en voir la fin. Seul restait l'ESPOIR.
 

Le 30 Octobre 1944, fut pour nous un jour de deuil. Un mauvais coup au moral.

Mort tragique de JOJO.
Après l'arrachage et le ramassage des pommes de terre nous passions la herse, elle découvrait les pommes de terre qui étaient restées dans la terre. Alors une équipe d'une vingtaine d'ouvriers prenait de front une largeur de terrain et ramassait de nouveaux celles qui étaient découvertes.

C'est occupé à ce travail que notre camarade Jojo reçut une balle en pleine colonne vertébrale (balle provenant d'une forêt située non loin de là). Les secours furent rapides. Transporté immédiatement à l'Hôpital du camp où deux docteurs, un Belge et un Polonais tentèrent l'opération, et d'après les renseignements qu'ils donnèrent ; la balle étant au bout de sa course n'était pas sortie et de ce fait avait mis tous les intestins en bouillie, de là résultat impossible.

Notre Jojo vécu deux jours dans cet état, sans jamais se plaindre. Quel exemple.

En qualité de Chef de commando je fus autorisé en compagnie de Quittet à aller à son enterrement civil bien sûr, mais dans le respect, la dignité avec un cercueil et non comme un Russe (dans le trou comme une bête crevée). Un détachement Allemand lui rendant les honneurs.
Par contre, j'avais voulu mettre un petit drapeau Français sur son cercueil mais je fus sommé de le retirer rapidement.

C'était un camarade que nous aimions beaucoup, il était marié sans enfant, sans domicile fixe, pas un gitan, vivant à l'aventure avec sa femme. Deux journées de travail lorsque ça se présentait. Un déshérité de la vie, qui en quatre ans n'a reçu de sa famille ou de la commune qu'un minuscule colis (je vous en ai déjà parlé)-une savonnette et un paquet de tabac- J'avais protesté auprès du maire de sa commune.

Qu'importe, c'était notre dévoué camarade toujours prêt à aider les autres.
Sa disparition nous donna un terrible coup au moral. Ne pouvant faire autre chose pour aider sa femme, chacun de nous versa le peu d'argent que nous possédions et lui envoyâmes le total. Avec nos condoléances attristées.
 

Après ce 30 Octobre 1944, la vie monotone continua jusqu'au 5 Janvier 1945.

C'était un dimanche où comme les autres jours j'étais allé à la fabrique d'eau de vie, chercher ces résidus pour le bétail, qu'un polonais m'apprit que l'armée Russe avait enfoncé la ligne allemande à Breslau. Ordre fut donné aux allemands de se tenir prêts pour l'évacuation. Ils durent faire des exercices d'embarquement en prévision.
Pour nous c'était la joie, la libération en perspective deux jours plus tard nous entendions le canon.

 

Janvier 1945 fut extrêmement rigoureux, un froid terrible et beaucoup de neige. Nous ne sortions qu'avec les traîneaux.

La route de Neusttetur en direction Stettin était encombrée par toute la population qui fuyait devant les Russes. Ça bouchonnait. Souvent, ils n'avançaient que de deux kilomètres par jour avec leurs chars à bœufs ou à chevaux. J'en ai vu plusieurs où ils n'avaient plus qu'un cheval avec un bœuf d'un côté de la flèche, l'autre était mort. Il n'était pas question de sortir de la route, il y avait trop de neige. Ils étaient sur la route jours et nuits sous ces étoiles qui brillaient sur la neige.

J'ai vu dans ces chars, des personnes âgées toutes noires, gelées. Je ne sais pas si elles étaient mortes ou vivantes. Une femme m'a dit : "je viens de voir mourir gelé mon huitième enfant ", d'autres me demandaient où elles pourraient trouver du lait pour leurs enfants.

J'étais loin d'avoir un cœur allemand, mais quand même c'était trop, beaucoup trop.

Cinq ans plus tôt, la France avait connu aussi cette débâcle. C'était bien triste de voir ça. Mais rien de comparable, c'était en mai et juin.

La température n'était pas à 0°, mais à -20° ou -30° comme en Janvier 1945.
Personnellement, avec mon traîneau j'allais tous les jours à la fabrique d'eau de vie avec ma tonne chercher le schlemp pour les vaches à 8 kilomètres. Il n'y avait pas de place pour moi sur la route mais avec mon traîneau je passais à travers champs.

Vers le 15 Janvier, ce fut notre tour d'avoir des soucis.

A minuit, la patron accompagné d'un contre-maître entra dans ma chambre, "Anton", il faut vous lever, nous avons reçu l'ordre de partir".

Moi qui avait déjà vu depuis 3 semaines la vie de ces martyrs sur la route, je n'étais pas chaud pour partir. Je lui dis: " vous voulez aller où ? "

" n'importe où que vous alliez les Russes vous rattraperont" .

" Peut-être Anton, mais nous avons reçu l'ordre, prenez un camarade, 4 chevaux et le chasse-neige que vous chargerez de cailloux et vous ferez la trace jusqu'à la grande route (3 Km)."

A une heure du matin avec Milo, nous partîmes avec notre chasse-neige chargé dans cette neige, la nuit était claire, pas un nuage, des étoiles qui brillaient sur cette nappe blanche.

Une température de -20°. La neige étant trop tassée et gelée, le chasse-neige avait glissé dessus.

Je dis au Patron " Chef, vous voulez partir c'est impossible, la neige est trop dure, le chasse-neige n'a rien fait ".

" Il faut essayer quand même " me dit-il. 

8 Chars furent attelés. Chaque voiturier avait ordre, l'un de charger le strict nécessaire dans cette famille et les autres dans les autres familles et à 9 Heures direction la sortie. Comme à l'habitude j'étais à l'avant poste, nous n'avions pas fait 100 mètres que mon char était planté dans une congère, et moi j'étais tranquillement assis sur la banquette, c'était un moment joli à voir, car tous les civils avec leurs pelles, de la neige plus haut que le genou, dégageaient les roues.

Quand ils avaient fait un peu la trace, ils me disaient " essayez voir Anton, allez hi " ça démarrait mais deux mètres plus loin c'était à nouveau bloqué et les pelleteurs recommençaient, et ainsi de suite tous les deux ou trois mètres.

En deux heures, nous n'avions pas fait cent mètres, et de temps en temps, je disais au patron " vous voyez bien chef, nous ne serons pas arrivés à la grande route que les chevaux seront crevés ".

J'avoue que je ne m'étais pas mouillé les pieds pour faire la trace, car j'étais resté tranquille sur mon char.
Je n'avais pas de fouet non plus ce jour-là. Il faut le dire, je n'avais pas du tout envie de crever gelé sur la route. Vers les 11 Heures, le patron donna d'ordre de faire demi-tour.
Jusqu'au début Février, nous avons donc continué le battage. Pendant ce temps la neige fondait un peu, la route, après le repli des fuyards commençait à être dégagée de tous ces véhicules. Par contre cette neige tassée formait une épaisseur de vingt centimètres de glace sur la chaussée.

Tous les chevaux furent cramponnés pour aller sur la glace, et de nouveau nous partîmes. Personnellement, j'emmenais le char du patron.
Huit kilomètres plus loin, il voulut rentrer dans une mairie. Pendant ce temps il arriva une averse, nous étions tous mouillés et les chars qui n'étaient pas couverts, les paillasses comme tout le reste pissait l'eau.

Tous ces civils, en majorité des femmes, quelques bébés, on commença à gueuler, demandant où on les emmenait, qu'elles ne voulaient pas mourir sur la route, qu'elles voulaient retourner à Tannberg (la ferme).

Je sentais venir l'orage avec le patron.

Lorsqu'un autre patron sortit de cette mairie et me demanda :

" C'est le convoi Weilland ? " " Oui ".

Il a dit de partir qu'il vous rattraperait...

Moi, j'étais comme les civils, ça ne me disait rien de passer les nuits dehors, je n'ai pas bougé.

Comme je l'avais prévu, lorsque le patron est sorti, tous les civils se sont mis contre lui, exigeant de retourner à la ferme. Après une discussion longue et acharnée le patron dit :

" Tous les voituriers qui emmènent les familles, rentrez à la ferme, et nous avec Anton on s'en va ".

Alors là, j'aurai donné gros pour avoir la photo.
Nous étions tous les deux plantés au milieu de la place de Solnitze, nez contre nez.

Moi lui disant qu'étant chef de commando, j'avais la responsabilité de mes camarades, je refusais de les abandonner.

Lui me disant "  où je mourais, vous pouvez mourir aussi ",

" c'est pas vrai, si vous avez déclaré la guerre aux Russes, vous n'avez qu'à la faire, pour moi elle est finie, Attends moi Milo, je fais demi tour avec vous, tout le monde à la maison ".

Pour la deuxième fois nous avons donc fait demi tour.

Le lendemain matin, à notre réveil, ses deux chevaux étaient déjà attelés à la calèche et attendaient devant la véranda.
Après avoir donné ses ordres au contremaître, il partit chez sa fille à Bad-Polztin (60 Km) sans nous adresser la parole. Je commençais à voir que pour nous la situation devenait critique après ces prises de gueules et ces refus d'obéir.
Dès qu'il fut parti, nous continuâmes les battages qui n'étaient pas encore finis.

En représailles aux civils, le patron avait donné ordre au contremaître de ne pas leur donner de lait. Mais ces femmes qui avaient des enfants en bas âge sont allées jusqu'à un poste de l'armée faire part de leurs doléances. Nous n'étions pas au courant.

C'est ainsi, tout surpris, que nous avons vu deux soldats arriver et l'un d'eux poser le canon de sa mitraillette sur le ventre du contremaître en lui demandant des explications au sujet du lait.

Enfin tout se termina bien les femmes eurent leur lait comme d'habitude.
 

Vers la fin février, un détachement de l'armée battant en retraite vint cantonner à la ferme pendant deux jours. A leur départ, ils embarquèrent mes deux meilleurs chevaux ainsi que le plus gros cochon.

Pour l'armée, le patron faisait figure de déserteur qui avait abandonné sa ferme. Le patron dut être prévenu car il revint dans la nuit mais c'était trop tard.

Et ce fut le projet du troisième départ. Il demanda à Jules de l'emmener, qu'il partirait le premier, et le reste de la ferme suivrait le lendemain. Jules ne voulut pas l'emmener.

Alors voyant que les choses allaient tourner au tragique, que ça finirait mal, je devais me dévouer. A contre cœur, j'allais donc voir le patron et lui dit .

" Alors, vous voulez partir ",

" oui ",

" et Jules ne veut pas vous emmener",

" non ",

" et bien, je vous emmène, mais à condition ",

" Quelles conditions ? "

" je veux un camarade avec moi ",

" Vous n'êtes plus un gamin Anton " me dit-il.

" Non, je ne suis plus un gamin mais je ne veux pas m'embarquer seul parmi les allemands ".

" D'accord, prenez celui que vous voudrez ".

C'est ainsi qu'avec Milo, tous deux montés aux quatre vents sur la calèche -et la famille Weilland à l'intérieur- que nous quittâmes la ferme pour de bon.

Première escale à 60 kilomètres où les autres nous rejoignirent. Nous avions tout juste rentré nos chevaux dans une écurie que les Russes vinrent bombarder la ville.

Là, je me pose la question ; si parfois on est pas débile ?
En effet, pendant le bombardement avec Milo, nous étions plantés à la porte de l'écurie et regardions en riant évoluer ces avions, en nous disant : " qu'est-ce qu'ils leurs mettent ! "

Alors que sur la place à 40 mètres de nous, derrière le mur se trouvaient des morts et des blessés.

Le char du Pasteur de notre région fut écrasé par les bombes. Mon patron me demanda si je voulais prendre un autre char et aller chercher son matériel. Avec Milo nous allâmes récupérer ce qui était valable, tout se passa bien pour nous.
Mais sur la route, c'était la vraie débandade, l'armée allemande battait en retraite.

Une drôle d'armée allemande, c'était un détachement de l'armée Charlemagne. C'est-à-dire des volontaires Français engagés dans l'armée allemande. J'ai reconnu un sous-officier qui avait été prisonnier à Mulhouse avec moi.

Il disait à un de ses gars qui n'avait plus que ses chevaux " qu'est-ce que tu as fait de tes pièces ? "

" Elles sont restées dans le ravin, les allemands m'ont laissé tomber ".
Pour nous, ce n'était pas des Français, c'étaient des ennemis, au même titre que les chleus.
Déjà quelques temps avant, je livrais un chargement de grain, j'en avais rencontré trois qui sortaient d'un bistrot. Ils avaient crié " bonjour, ça va  "

" oui vous parlez bien Français vous ",

" mais nous sommes français ".

"Vous êtes français ? Dans cette tenue chleu, vous n'avez pas honte, vous venez finir de nous enfoncer ".

Moi voyant sortir un gradé allemand, je me suis barré avant qu'il soit trop tard.

Si Hitler avait enrôlé de force les Alsaciens, leurs cœurs étaient restés français, j'en avais eu la preuve souvent lorsque je traversais le terrain militaire pour aller au camp. Sans se faire voir ils me le disaient.
Tandis que les volontaires, c'est qu'ils avaient fini de bien faire en France et au lieu d'aller en prison, ils s'engageaient là-dedans.
Le lendemain
4 Mars, nous partons pour une autre étape. Nous arrivons dans une grosse ferme, plus grosse que la nôtre puisque plus de vingt prisonniers sont encore là.

Maintenant, nous sommes trois, Quittet est venu nous rejoindre. Nous n'avons pas de peine à loger nos chevaux, les écuries étant vides et le foin ne manque pas. Après avoir mangé, nous nous réfugions tous les trois dans une petite maison ouvrière vide aussi.
Lorsque vers onze heures, je me réveille en sursaut, et je dis aux copains " levez-vous vite, la maison brûle ". Ce n'était pas la maison, c'étaient les Russes qui attaquaient la ville de Bad-Poltzin (où nous étions le matin).

Un vrai déluge avec ces chars ces bombes, ces obus et les mitrailleuses.
Je compare Bad-Poltzin à Montbrison et nous à Chante-perdrix. Bien placés pour voir.

Ne sachant pas ce qui pourrait arriver, nous allâmes nous réfugier dans le commando chez les autres prisonniers.
Le 5 mars, quand le jour se leva, le paysage était blanc de neige, plus de bruit de canon, ni de mitrailleuse, mais pas de Russes. Ils s'étaient emparés de la ville et arrêté leur progression à un kilomètre de notre hameau.

Puis à 13 Heures arriva une patrouille de deux polonais, avec leurs mitraillettes très gentils avec nous, ils nous demandèrent si on voulait la mitraillette, s'ils nous avaient fait des misères, si on avait des comptes à régler. Toutes les réponses furent négatives. Par contre la sentinelle fut emmenée comme prisonnier.

Un autre soldat fut blessé dans le château (c'était le moins qui puisse arriver). Puis ils réintégrèrent leurs lignes en nous disant : " Français, préparez-vous, dans une heure ou deux, nous serons de retour et vous pourrez partir ".
En effet une heure et demie plus tard, un détachement Russe était là.

Ils nous ont dit : " Français, sauvez-vous vite, les Allemands risquent de contre-attaquer ".

Sans attendre, nous traversons les lignes Russes. Tous ces soldats en ligne dans les champs, à plat ventre dans un trou, avec les mottes devant leur tête, pour se garantir des balles, le cas échéant.
En traversant la ville qu'ils avaient prise la nuit précédente, nous avons eu la preuve, en voyant tout le matériel militaire allemand déposé sur la place, qu'ils s'étaient rendus (les allemands) - J'ai ramené un bidon militaire allemand - Nous avons marché jusqu'à minuit, fatigués, nous avons dormi dans un abri au bord de la route, le sol était recouvert de vitres cassées.

Qu'importe, on a dormi. Dès le jour, nous continuons notre marche en direction de Neustettin où nous arrivons à midi, le ventre creux, plus âme qui vive dans les rues.
Quittet doit se débrouiller pour trouver quelque chose à manger.
Pendant ce temps, Milo et moi, nous devons trouver trois vélos pour continuer la route en direction de l'Hôpital du camp, peut-être y trouverons-nous des ordres ou directives pour nous aider à rentrer en France.
Dans cette ville que je connais bien, nous revenons une heure plus tard avec Milo poussant nos trois vélos.

Dans une cave Quittet a trouvé un grand bocal de choux-fleur, ainsi qu'une bouteille de vin.

Quel banquet !
Quittet m'a dit : " Dans un étage plus haut, il y a deux personnes très âgées qui ont peur ".
Et bien, je vais aller les voir, ce que je fis. Timidement ils m'ouvrirent leur porte.

Je leur dis : " N'ayez pas peur, nous sommes des Français, nous ne vous ferons pas de mal, nous allons coucher ici cette nuit, et nous partirons demain matin ".
Cinq minutes plus tard, ce pépé nous a apporté un morceau de pain en nous disant

" c'est tout ce qui me reste ".
Quelle bonne nuit, pour la première fois depuis longtemps.

Le lendemain, réveillé de bonne heure, je voulus aller voir aux abattoirs s'il ne restait rien.

Quelle surprise !

Il faut que les Allemands soient pressés pour laisser un tel stock de saucissons longs et gros comme un bras...
Je m'en suis chargé une bonne brassée.
Sur le chemin du retour, je rencontre une patrouille Russe. En les apercevant j'en menais pas large, mais contrairement à ce que je pensais, en voyant mon chargement ils ont éclaté de rire et ne m'ont pas inquiété.
J'arrive donc où nous avions élu domicile pour la nuit, Quittet, Milo et moi prenons ce qu'il nous faut comme saucissons et je porte le reste à ces deux pépé et même je leur dis qu'il y avait aussi de grandes cuves pleines de graisse, s'ils voulaient me donner un grand plat, j'irai leur en chercher, ce que je fis.
Je leur ramenais une grande bassine de graisse et encore quelques saucisses. Je leur dis : "vous mangerez ça en pensant aux Français" Ils ne savaient pas comment me remercier. J'étais content, je savais que j'avais fait deux heureux, (leurs yeux me l'ont prouvé)
Puis, nous avons pris la route à nouveau, direction l'hôpital du camp. Nous y arrivons à la tombée de la nuit, exténués. Il y a encore beaucoup de P.G Français, et en particulier le responsable de l'Hôpital, mon copain, le sergent Brunon, qui a fait son service militaire avec moi à Saint-Etienne et qui s'était occupé de moi lors de mon accident (à Tannberg).
A notre arrivée, il est surpris de me voir encore là, et me demande tout de suite si nous avons faim.

Comment dire NON !
Piquant dans ses réserves, il sort un bout de viande à chacun que nous avalons rapidement et tout de suite nous nous renversons dans nos lits superposés, en pensant à nos familles qui doivent se demander ce que nous sommes devenus, voilà bientôt un an que les nouvelles sont interrompues...
Minuit, voilà que mon Brunon vient me tirer par les pieds, il est accompagné d'un soldat Russe armé.

Une colonne de prisonniers allemands vient d'arriver. "Ils sont dans une baraque" me dit-il. Les sentinelles Russes sont très fatiguées ; tous les trois vous ne voudriez pas aller les garder le restant de la nuit pendant qu'elles se reposent. Je ne pouvais pas refuser. Je lui dit :"nous sommes volontaires, mais il nous faut un flingue".
Le Russe était content, il nous aurait bien donné à chacun quatre fusils. Bien sûr, j'avais nullement l'intention de m'en servir.
On ne garde pas une colonne de prisonniers avec les mains dans les poches, ça serait risquer sa peau. Quelle drôle de colonne !
Je crois que les plus jeunes devaient avoir 15 ans et les plus âgés entre 70 et 75 ans, pauvres éclopés.

C'était la dernière réserve, L'ersatztruppen. Je ne sais pas s'il y eut des évadés, mais nous étions quand même contents de voir que les rôles étaient renversés et que dans le même camp, c'étaient les allemands qui étaient à notre place. Quelle humiliation pour eux. Le lendemain un officier Russe demanda un volontaire pour l'aider, une journée seulement.
Je partis avec lui, surpris par sa gentillesse et son savoir. Il parlait très bien l'allemand et connaissait l'histoire de France mieux que moi, nous parlions comme deux frères de la France, de la Russie. Il n'y avait plus de galons, ni de frontière ? entre nous ; comme j'avais trouvé ça beau... Notre travail consistait après avoir mangé car il avait insisté (d'abord manger, après le travail) à charger sur des camions des tonneaux d'essence ainsi que des cuves vides qui partaient plus près du front former un nouveau dépôt.
J'avais passé une bonne journée en ami. Une rumeur circulait au sujet des bateaux à Odessa qui partaient pour la France.

Ne sachant pas combien de temps durerait encore la guerre une colonne se décida à partir pour Odessa sans autre moyen de transport que les jambes. De la Baltique à la mer Noire, il y a de quoi user ses souliers et le moral. Notre colonne est donc partie en direction de Bromberg, avec étape à Hanriesch Wald Firchau, zempelburg, Bromberg. Les uns poussant une poussette chargée de quelques vêtements ou affaires personnelles, d'autres un vélo avec un peu de bagage et d'autres sac au dos.
Nous arrivâmes
le 20 Mars à Bromberg. Il fallut attendre jusqu'au 4 Mai pour avoir un train ; les voies ferrées les ponts, tout était démoli.
Le 4 Mai enfin, nous partions pour Odessa. Ce fut une erreur car quatre jours plus tard c'était l'Armistice et en passant par l'Allemagne et la Tchécoslovaquie nous serions sans doute rentrés en France plus tôt.
Lorsque sonna l'armistice, nous étions à Lublin en Pologne. Le conducteur du train nous emmena à une dizaine de kilomètres de la ville, près d'un champ de patates qui venaient d'être semées et décrocha sa locomotive et s'en alla.
Pendant cinq jours, nous ne vîmes personne, par contre, il ne resta plus une pomme de terre dans le champ.

Au bout de cinq jours le chauffeur et sa loco réapparurent, la loco fut accrochée et le train repartit.

Galkau, Radom, Deblin; Jaroslaw, Lamber, Tarnapol, Odessa le 19 Mai nous arrivions à Lunsdorf, banlieue d'Odessa.

Nous étions logés, certains dans des granges, tous les trois nous étions dans une petite maison vide, couchant à même le plancher car il n'y avait pas de paille, mais c'est une question d'habitude. Cinquante mètres nous séparaient de la mer. La nourriture se composait de blé, ou du millet cuit dans des grandes chaudières, sans doute y avait-il un peu de sel et un brin de graisse car pour moi qui n'était pas délicat, c'était mangeable.
Pendant deux jours, j'avais été volontaire pour aller travailler dans une vigne. Deux camions venaient nous chercher chaque matin à raison d'une trentaine debout dans chaque camion.
De cette vigne, je n'en ai vu que l'entrée, de tout côté je n'ai pas vu de limites, je ne saurai en donner davantage de détails.
A midi, on nous apportait la soupe du camp et pour notre journée nous avions notre litre de vin blanc en partant. J'ai vu l'entrée de la cave, avec ses très larges escaliers pour y descendre et ses parois carrelées, tels les sous-terrains de la gare de Pérache. Mais je n'en ai pas vu l'intérieur. L' Ukraine est un pays extraordinaire avec ses champs de blé, d'orge, de vignes à perte de vue.
Pour les moissons, vous voyiez une demi-douzaine de moissonneuses batteuses, l'une derrière l'autre. A l'école, j'avais appris que l'Ukraine était le grenier de l'Europe je pense que c'est vrai. Mais il faut ajouter que ces grandes surfaces agricoles ne sont pas des propriétés privées. Ce sont des Kolkos, des propriétés de l'Etat Russe. Les ouvriers sont plus pauvres que chez nous, ils vivent dans des petites cabanes avec le feu dans un trou creusé dans le talus, et les ustensiles de cuisine pendus à un arbre devant la porte. Si nos Français qui se plaignent toujours y faisaient un petit stage, peut-être seraient-ils contents de revenir en France.
Un jour que tous les trois : Quittet, Milo et moi avions envie de café, nous avons projeté d'aller glaner de l'orge dans le champ voisin. En peu de temps, nous avons ramassé un bol de grains ; vite un petit feu entre deux cailloux, une tôle dessus et voilà l'orge qui grille. Il grille tellement qu'il prend feu, c'était plus que du charbon, quelle importance, il nous noircissait l'eau, c'était bon, c'était du café.

Une fois nous sommes passés dans un champ de courges, elles étaient petites et pas encore mures, nous en avons piqué chacun une, puis calés derrière un talus, nous avons mordu dedans. Je ne sais pas si c'est poison, mais pour ma part, j'ai été vraiment malade.
A Odessa, j'ai passé aussi quelques jours vraiment malade, je croyais y laisser ma peau, j'ai du aller chez le docteur. Et comme le docteur, c'était une doctoresse militaire Russe qui s'occupa de moi, elle me guérit avec des ventouses, (médicament bon marché), je lui dois mes remerciements.
A Odessa nous n'étions pas plus en sûreté qu'ailleurs. Il y avait des mines partout le long de la mer.

Le lendemain de notre arrivée, nous étions tous contents de nous mettre à l'eau et nous débarbouiller, mais voilà qu'un gars marche sur une mine bien camouflée dans le sable. Ne me demandez pas le résultat. Seuls restaient la tête et le thorax vide. Plus de jambe, ni bras, ni ventre, tout avait disparu.
Dans le mois de Juillet, Madame Catroux (femme du Général) nous rendit visite. A la hâte j'écrivis une lettre à Maria qu'elle eut la gentillesse d'emporter en France. C'était la première fois depuis mai 1944 que je donnais de mes nouvelles.
Je crois que sa visite, servit notre cause, en accélérant les préparatifs pour notre retour. Quelques jours plus tard un train de P.G partit pour la France, dont Jean Marie Gourbeyre de Courreau qui se chargea de porter.une lettre à Maria.

C'est à Odessa que j'ai fait la connaissance de notre ami Jean Blanc de Valcivières.
Enfin,
le 2 Août 1945, jour de mon 31ème anniversaire, j'embarquais pour mon retour en France, dans un wagon à bestiaux. A l'intérieur et à mi-hauteur de chaque wagon il y avait un plancher, ce qui nous obligeait à y entrer courbés, par contre nous étions moins gênés, car au lieu de 80 hommes selon le règlement il y en avait 40 dessus et 40 dessous. C'était aussi la bonne saison et dans la journée il y en avait qui montaient sur les wagons, le voyage ne fut pas rapide.

20 jours d'Odessa jusqu'à Strasbourg. Souvent la voie n'était pas libre, des ponts à réparer et même le convoi était trop lourd selon la locomotive (il n'était pas rare dans les virages où il faut davantage de force, faute d'élan, que la loco patine) Il fallait reculer, reprendre de l'élan.

Parfois comme à Rutnau, en haute Silésie, nous restâmes deux jours attendant que la voie soit réparée.

Pour la nourriture, c'était autre chose, après avoir perçu chacun un colis de 3 kg au départ, et une soupe qui nous fut servie à travers un soupirail de cave en passant à Katowice (Haute-Silésie), après, plus rien.
Tous les 4 ou 5 jours, le train s'arrêtait où il y avait un champ de patates, aussi bien en Pologne qu'en Allemagne, chacun bondissait du train essayant de faire le plein.
Lorsque la musette contenait quelques kilos de ces tubercules crus, nous étions sauvés. Pour l'eau c'était le même procédé, les fontaines étaient prises d'assaut, nous prenions patience car nous rentrions à la maison. Pourtant, c'était le silence, personne ne chantait. Chacun pensait, depuis si longtemps sans nouvelle, ce qu'il allait trouver en rentrant.

Certains savaient que toute leur famille avait été tué et la maison écrasée (Dieppe) ; d'autres que leurs femmes avaient quitté le foyer, où autre...
Nous avions le temps de voir le pays.

Cracovie (Pologne) qui paraissait si beau. Breslau tout brûlé, il ne restait que des murs calcinés et des cheminées encore debout. Cotbus avec ses rails tordues. Dresden avec ses wagons projetés sur les ruines des maisons à 30 mètres de la voie ferrée, il restait seulement quelques clochers éventrés, les rues n'étaient plus visibles, seul restaient des ruines. Ils nous ont parlé de 200 000 morts en vingt minutes.
Très croyable en voyant les ruines de cette ville.
A Munich, la croix rouge grecque nous a donné une cigarette à chacun, s'excusant de ne pouvoir faire mieux. Nous n'étions pas attendus.
Enfin, nous passâmes le pont de Kehl la nuit. A la pointe du jour nous étions à Strasbourg...

Quel drôle d'effet d'entendre parler français avant d'ouvrir le wagon. A Strasbourg, nous avons été très bien reçus, un bon repas et je me souviens qu'il y avait un verre de vin. Après avoir vécu des jours avec des pommes de terre crues, nous savions l'apprécier.
Un grand merci à Strasbourg. Le soir, nous quittons Strasbourg pour aller à Paris Je n'ai jamais compris pourquoi, sans doute c'était plus rapide qu'en passant par Mulhouse, Besançon, Lyon et Saint-Etienne

Je suis donc arrivé
le 24 Août 1945 dans l'après-midi à Montbrison où ma femme et mes deux enfants m'attendaient ainsi que Vincent Joandel, chargé de me monter à Sauvain.

Quelle émotion ! de quoi en tomber cardiaque. Que les enfants ont grandi. Maria est comme moi, nous avons de la peine à articuler quelques mots, nous ne pouvons exprimer ce que nous ressentons. Personnellement, je crois que je rêvais, je me souviens tout juste de Vincent, le maire de Sauvain qui était venu me chercher.

Je me suis pourtant réveillé en arrivant au dessous du Roure, face à Sauvain, lorsque j'ai entendu les cloches qui sonnaient à toutes volées.

Je me demandais ce qui arrivait. Maria et Vincent m'ont dit : "c'est pour toi qu'elles sonnent, pour fêter ton arrivée". Je me serais bien passé de tant d'honneur, j'avais hâte de rentrer à la maison et de me reposer un peu. Vincent nous conduisit donc jusqu'à Sauvain. Ce fut encore ma plus grande surprise quand je vis tous les gens de la commune rassemblés, le Père Trapeau en tête qui m'acclamait et chacun voulut m'embrasser. Sauvain fit la fête toute la nuit. J'étais le dernier des P.G.
Malheureusement, je ne reconnaissais plus les jeunes après six ans d'absence.
Un de mes frères qui avait 10 ans à mon départ en avait 16 à mon retour. C'était un homme, je ne l'ai pas reconnu !.
Un vin d'honneur nous fut servi dans la maison Néel qui avait été le centre d'accueil de tous les P.G de Sauvain.
Après ce vin d'honneur Vincent nous emmena au Crozet tous les quatre, Maria les deux enfants et moi.

Je ne remercierai jamais assez Vincent et toute la population de Sauvain pour l'accueil chaleureux qu'ils m'avaient réservé.

A Sauvain la fête fut grandiose, le bal dura toute la nuit : le dernier des Prisonniers était rentré.

 

Antoine MASSACRIER

 

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