
Témoignage
de René Tourgis, prisonnier de guerre au Stalag 2B,
recueilli
par son petit fils, David Ollitrault en 2010.
Où
as-tu été capturé ?
On
était au bureau, j’étais secrétaire de l’état-major sous la
direction du général Corap à Vervins.
J’étais avec un ami
là-bas, Jean Morice. Tout d’un coup on a vu un avion passer avec
une croix gammée.
Ah ça n’a pas tardé, le lendemain matin Corap
a donné les ordres qu’il fallait quitter Vervins. Alors on est
parti dans la nature puis j’ai été capturé à Le Catelet.
Comment
s’est passée la suite ?
On a
marché jusqu’en Allemagne. On formait des groupes, des kilomètres
de bonhommes, avec les allemands et les mitrailleuses sur le côté.
Ils nous prenaient sur la route partout et puis ça s’allongeait, ça
s’allongeait mais le temps s’allongeait aussi. On en avait marre.
Il y en avait qui avaient même du sang sous les pieds mon vieux.
Moi
je marchais toujours en avant car les derniers étaient zigouillés.
Celui qui tirait trop au cul, hop, pan !
Du coup, j’étais
toujours dans les premiers. On stoppait un peu quand même de temps
en temps mais j’arrêtais pas moi, je continuais, je reprenais la
tête. Tu avais parfois un kilomètre à remonter sur la route.
Vous
mangiez quoi quand vous marchiez sur la route ?
On
traversait des champs plats, on bouffait des feuilles et on nous
donnait du son, un demi-quart de son, qu’on donne aux bestiaux, tu
sais. Mais on le mangeait…
D’ailleurs
ce jour-là, je sais pas comment ça s’est produit, il y avait un
herbage, on était des milliers là dedans.
Il y a une vache qui s’est
amenée et les plus forts et les plus dégourdis l’ont dépouillée
vivante. J’ai même pas pu en avoir un morceau.
Plus tard, une fois
que la guerre était terminée, j’ai rencontré un gendarme à
Percy qui était à cet endroit aussi ou des gens mangeaient la vache
le long de la route. Lui il allait à un autre camp.
Je lui ai dit
mais moi aussi j’étais là ce jour-là !
Dans
quelle ville de Pologne les allemands vous ont-ils amené ?
Hammerstein,
au Stalag 2B.
Quel
âge avais-tu ?
Quand
je suis parti je devais avoir 26 ans.
Les
allemands vous ont mis au travail au Stalag 2B ?
Oui,
tu comprends, quand on est arrivé à cet endroit-là, ils nous ont
fait travailler quoi, les prisonniers ne leur servaient à rien. On
faisait une route qui devait (qui devait !) relier Paris à
Berlin.
Mais ça n’a pas été au bout.
On partait le matin de très
bonne heure et on allait chercher la route. Alors chacun avait un
bout de route à faire. On était gardé par des gars et c’est là
qu’on bossait tous les jours.
Quand
on allait prendre le travail, on était des milliers et avant
d’arriver sur le lieu de travail, il y avait de la route à faire à
pied, des kilomètres.
C’était
une carrière, il y avait des wagonnets, il y avait du sable.
Il y
avait deux gars qui chargeaient le wagon et un autre qui poussait.
Et
c’est là qu’a eu lieu mon accident. Il fallait traverser une
rue, une petite rue.
Et à l’arrivée, le wagonnet m’est tombé
dessus, hop, deux côtes de cassées. C’est ça qui m’a fait
rentrer.
Un
jour, un officier est arrivé au camp et il a fait l’appel :
« untel, untel, allez, venez par-là, on va vous renvoyer en France
parce que vous êtes bons à rien, vous ne pouvez pas travailler ».
J’étais à l’infirmerie et donc je suis parti.
Que
mangiez-vous sur le camp ?
On
voyait des pommes de terre en passant sur la route. Parce qu’il y
avait peut-être 1km, 2km de queue, les allemands nous voyaient pas
tous. Quand on était comme ça le long de la route, il y avait
un allemand tous les 100 mètres si tu veux, avec son flingue. Alors
quand on le voyait assez loin, quand il y avait un trou, hop, on
piquait des pommes de terre et on les ramenait. Mais on était
fouillé en rentrant. On avait à ce moment-là des pantalons
militaires, tu sais comme des culottes de golf. On mettait ça dans
le fond.
Arrivés au camp, les allemands ils tâtaient partout mais
ils trouvaient pas. Et puis quand ils nous attrapaient ils disaient :
« mais où qu’ils ont eu ça eux, ils mangent des pommes de
terre qu’ils ont cuites ?! » On les cuisait dans les
tuyaux du chauffage (rire).
Parmi
les soldats allemands il y avait aussi des vieux qui étaient
gentils. Certains me passaient du pain.
Il
y avait apparemment des espaces de jeu. As-tu joué au football
là-bas ?
Non,
jamais.
Est-ce
que tu te souviens de noms de prisonniers avec qui tu étais au
camp ?
Non,
ça me passait par-dessus de la tête.
Y
avait-il des douches pour se laver au camp ?
Il y
avait des douches mais on ne pouvait pas y accéder, il y avait
tellement de monde.
Est-ce
qu’il y avait de la neige l’hiver ?
Oh
oui. On a passé des coups durs.
Avais-tu
froid ?
Quand
on travaillait la journée ça allait mais c’était le soir en
rentrant qui était difficile.
La
chambre était-elle chauffée ?
Il y
avait un petit poêle, alors on essayait de prendre du bois pour se
chauffer.
Y
avait-il des journées de repos ?
Non.
Comment
dormiez-vous ?
Pour
la chambrée c’était des lits superposés de 3 personnes. Alors
comme j’étais le plus petit j’étais monté en haut moi. Je me
ratatinais. Alors l’allemand lui quand il venait, il prenait le
bord, il regardait, il voyait le 2ème lit mais il ne voyait pas le
3ème. Il mettait sa main pour tâter mes pieds.
Comment que je les
ratatinais ! Il disait : « mais il n’y a personne
là-dedans (rire).
As-tu
une anecdote marrante qui te revient en tête ?
Je me
rappelle, ils étaient pas tellement à la page les allemands. On
avait une réunion le matin de bonne heure, à 3 H ou 4 heures. Ils
nous faisaient mettre par rang de vingt gars sur trois lignes.
Alors
le premier comptait, eins,
zwei,
drei, puis
pendant ce temps-là, celui qui avait eins
il se couchait et marchait à pas de loups derrière. Quand les
allemands arrivaient au bout du compte, il y en avait de trop.
On
était quand même couillonnés !
Un
jour je m’étais même couché dans une marmite pour ne pas être
pris, une marmite dans laquelle on donne la soupe aux bestiaux tu
sais.
Tu
n’as jamais essayé de t’évader ?
Non.
Ils y en avaient qui ont essayé, qui étaient à la frontière pas
loin, mais il y avait les chiens qui les traçaient.
Comment
s’est passé ton retour en France ?
Quand
je suis rentré, il y avait des femmes qui étaient mécontentes car
le leur était resté prisonnier et ils n’avaient pas de raison de
rentrer.
On habitait la gare. Un matin je me réveille, il y avait
une grande croix gammée de dessinée à ma porte.
J’ai vite été
nettoyer ça. J’étais pris pour un collaborateur. Je me souviens,
Il y avait une femme qui disait : « c’est malheureux,
lui il est rentré et le mien il est resté là-bas ! ».
J’avais beau leur expliquer, ils ne comprenaient pas.


VOYAGE à CZARNE en 2014
de son petit-fils David OLLITRAULT

1-12-14
Lager Nord


2-10
Cimetière Ost




3

4-13-15

monument 14-18 devant l'entrée de l'actuelle prison (lieu Lager Nord)


5-9-11



6-16




7- cimetière Lager Nord


8- Lager OST
